L'application de la directive 96/71/CE sur le détachement des travailleurs

2006/2038(INI)

OBJECTIF : faire le bilan de l’application de la directive sur le détachement des travailleurs dans les États membres et proposer des mesures destinées à renforcer la coopération administrative entre États membres.

CONTENU : le 4 avril 2006, la Commission a adopté la communication intitulée "Orientations concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services" (voir résumé du document de base non législatif du 04/04/2006) destinée à aider les États membres à se conformer aux principales dispositions de la directive et notamment aux obligations administratives et de contrôle qui incombent aux prestataires de services.

La présente communication fait suite à l'engagement pris par la Commission dans cette communication de suivre l'évolution de la situation dans les États membres en ce qui concerne tous les aspects examinés dans cette communication. Elle se fonde sur un examen approfondi de la situation dans les États membres et tient aussi compte des préoccupations exprimées par le Parlement européen dans sa résolution du 26 octobre 2006 sur l'application de la directive.

État des lieux chiffrés : selon des estimations, le nombre total de travailleurs détachés serait égal à un peu moins d'un million ou environ 0,4% de la population en âge de travailler dans l'UE en 2005. Cela concerne un nombre important de personnes dans quelques États membres (Allemagne, France, Luxembourg, Belgique ou Pologne), mais ce phénomène se développe et touche aujourd'hui tous les États membres, qu'il s'agisse de pays dans lesquels les travailleurs sont détachés et/ou de pays d'où ils sont détachés. L'importance économique du détachement dépasse largement l’aspect quantitatif, car le détachement peut jouer un rôle économique crucial en palliant des pénuries temporaires de main-d'œuvre dans certaines secteurs (ex: construction, transports). Toutefois, les conditions d'emploi, et notamment de rémunération, offertes aux travailleurs détachés peuvent, si elles ne sont pas convenablement contrôlées, différer des conditions minimales légales ou négociées dans le cadre de conventions collectives d'application générale. En cas de divergence à grande échelle, cela peut porter atteinte à l'organisation et au fonctionnement des marchés du travail locaux.

Pour une meilleure application de la directive : en avril 2006, la Commission a précisé et expliqué dans sa communication, comment se conformer à l'acquis communautaire (notamment à l'article 49 CE tel qu'interprété par la Cour) et comment parvenir plus efficacement aux résultats exigés par la directive. Parmi les mesures mises en œuvre par les États membres pour contrôler le détachement des travailleurs, la Commission s'est concentrée sur l’analyse des obligations administratives suivantes:

  • disposer d'un représentant établi sur le territoire de l’État membre d’accueil;
  • obtenir une autorisation préalable dans l’État membre d’accueil ou y être enregistré;
  • faire une déclaration préalable aux autorités de l'État membre d'accueil;
  • tenir et conserver des documents sociaux sur le territoire du pays d’accueil et/ou dans les conditions applicables sur son territoire;
  • appliquer des mesures spécifiques aux travailleurs détachés ressortissants de pays tiers.

Mesures de contrôle appliquées par les États membres : il ressort du suivi effectué par la Commission pour savoir si la directive est correctement appliquée, qu'un nombre considérable d'États membres n'ont recours qu'à leurs propres mesures et instruments nationaux pour contrôler les prestataires de services, ce qui ne semble pas toujours conforme à l'article 49 CE tel qu'interprété par la Cour, ni à la directive.

Les principales mesures de contrôle utilisées par les États membres conformément à la directive sont les suivantes :

  • obligation selon laquelle l'entreprise de détachement doit avoir un représentant dans l'État d'accueil : cette obligation est explicite dans 6 États membres (et implicite dans 3 autres);
  • régime d'autorisation/d'enregistrement concernant spécifiquement le détachement de travailleurs : ce régime existe dans 2 États membres ;
  • obligation de faire une déclaration préalable au commencement du travail du prestataire de services : cette obligation existe dans 16 États membres ; un État membre  impose cette obligation à l'utilisateur du service;
  • obligations de tenir et de conserver certains documents sociaux sur le territoire du pays d’accueil et/ou dans les conditions applicables sur son territoire : ces mesures sont prévues dans 14 États membres et concernent différents types de documents.

Par ailleurs, les États membres et les partenaires sociaux ont des opinions très divergentes sur la nécessité d’appliquer certaines mesures de contrôle et leur compatibilité avec le droit communautaire. En octobre 2006, le Parlement s’est prononcé sur cette question et a considéré qu’un État membre d'accueil pouvait avoir le droit d'imposer certaines formalités aux employeurs détachant des travailleurs, de manière à ce que les autorités de ce pays puissent garantir le respect des conditions d'emploi et de travail. D’après la Commission, cette question est extrêmement sensible pour plusieurs États membres, car elle touche aux caractéristiques de leur modèle social. Les mesures de contrôle imposées par les États membres s'inscrivent dans leur cadre législatif et institutionnel et, dans certains États membres, les partenaires sociaux peuvent également être chargés de missions de contrôle et de suivi des conditions de travail et d'emploi. Le manque d'informations sur l'identité et/ou la légitimité des prestataires de services, la nature temporaire et la durée souvent très courte du détachement, la perception d'un risque de "dumping social" ou de distorsion de concurrence, de même que la distance culturelle et physique entre les autorités de contrôle, sont invoqués pour justifier le recours à certaines mesures de contrôle par les autorités de l'État d'accueil.

Ces mesures sont fréquemment perçues comme excessives par les prestataires de services et les autorités des pays initiant le détachement et comme ayant des objectifs qui vont au-delà de la défense des droits des travailleurs détachés.

Appréciation de la Commission : l'inventaire des mesures de contrôle mises en œuvre par les États membres fait ressortir leur très grande diversité. Par principe, l'intention de la Commission n'est pas de mettre en cause les différents modèles sociaux des États membres, ni la manière dont ceux-ci organisent leur système de relations du travail et de négociation collective, dès lors que les États membres le mettent en œuvre en vertu du traité. En outre, la nécessité d'actions préventives et de sanctions destinées à combattre le travail illégal et non déclaré ainsi qu'à lutter contre les activités illégales d'agences d'intérim étrangères fictives, est incontestable. Dans ce contexte, la Commission estime que, lors du contrôle du respect des principales règles de la directive, les États membres doivent trouver le juste équilibre entre, d'une part, la nécessité d'offrir et de garantir une protection effective des travailleurs et, d'autre part, la nécessité de veiller à ce que les obligations formelles et les mesures de contrôle utilisées ou imposées pour garantir le respect de raisons impérieuses d'intérêt général (telles que la protection des travailleurs détachés) sont justifiées et proportionnées au regard des buts poursuivis.

Plus globalement, la Commission estime que la situation évoquée ci-dessus serait due à la quasi-absence de coopération administrative entre États membres et à un accès à l'information encore peu satisfaisant ainsi qu’à des problèmes transfrontaliers de contrôle de l'application de la législation. Il importe donc d’améliorer la coopération administrative et de renforcer l'accès à l'information afin de contribuer à réduire les charges administratives dans ce domaine. L'amélioration de la coopération administrative pourrait aussi revêtir une importance majeure lorsqu'il s'agit d'améliorer et de renforcer l'application et le respect effectifs de la législation communautaire. Une mise en œuvre et un contrôle du respect du droit communautaire adéquats et efficaces sont, selon la Commission, essentiels pour la protection des droits des travailleurs détachés.

Mesures à venir : la Commission utilisera tous les moyens dont elle dispose pour remédier aux problèmes identifiés dans la présente communication. De manière urgente, elle considère qu’il faut :

  1. adopter une recommandation de la Commission (sur le fondement de l'article 211 CE), approuvée par des conclusions du Conseil, afin de renforcer la coopération administrative entre les États membres par le biais du Système d'Information du Marché Intérieur (IMI) ;
  2. adopter une décision de la Commission mettant en place un comité à haut niveau, afin de soutenir et d'aider les États membres à identifier et échanger les bonnes pratiques et développer la participation formelle régulière des partenaires sociaux;
  3. veiller au contrôle du respect effectif des libertés fondamentales du traité CE, telles qu'interprétées par la Cour, par les États membres qui imposent des obligations administratives et des mesures de contrôle jugées incompatibles avec le droit communautaire en vigueur (comme l'obligation de disposer d'un représentant établi sur le territoire de l’État membre d’accueil ou l'obligation de tenir certains documents sociaux sur son territoire, sans exception et/ou limite dans le temps, lorsque des informations peuvent être obtenues dans un délai raisonnable par l'intermédiaire de l'employeur ou des autorités de l'État membre d'origine), au cas par cas, y compris, si nécessaire, en lançant des procédures d'infraction sur le fondement de l'article 226 CE;
  4. veiller au contrôle de la conformité avec le droit communautaire tel qu'interprété par la Cour, dans le cas d'États membres qui imposent toujours des permis de travail et d'autres conditions aux ressortissants de pays tiers détachés qui séjournent légalement et sont légalement employés dans un autre État membre, en lançant des procédures d'infraction ;
  5. poursuivre l'examen des mesures de transposition adoptées par les États membres et de leur application pour toutes les autres questions non traitées dans la communication (ex. : accessibilité et transparence de l'information) et ouvrir, si nécessaire, des procédures d'infraction sur le fondement de l'article 226 CE;
  6. procéder à un examen approfondi avec les États membres et les partenaires sociaux des problèmes inhérents au contrôle transfrontalier du respect de la législation (sanctions, amendes, responsabilité conjointe et solidaire).

À la lumière de cet examen, la Commission prendra les mesures appropriées.