En adoptant le rapport de Mme Hélène FLAUTRE (Verts/ALE, FR) sur l'évaluation des sanctions communautaires prévues dans le cadre des actions et politiques de l'UE dans le domaine des droits de l'homme, la commission des affaires étrangères estime qu’il est urgent que la politique de sanctions de l'UE fasse l’objet d’une évaluation. En effet, la disparité des bases légales pour la mise en œuvre de cette politique empêche toute transparence et cohérence d’ensemble dans les sanctions appliquées, lesquelles finissent par manquer de crédibilité. En effet, la politique actuelle de sanctions de l'UE l’amène parfois à prendre des mesures contradictoires, voire une politique de "deux poids, deux mesures" très néfaste en termes d’image. Ainsi, les mésententes au sein de l'Union vis-à-vis de tel ou tel pays (ex. : Cuba) ou les réticences des États membres à contrarier de gros partenaires commerciaux (ex. : Russie) ont conduit l'Union à n'adopter que des "sanctions informelles".
Pour les députés, l’efficacité des sanctions suppose que leur déclenchement soit perçu comme légitime par l'opinion publique tant européenne qu’internationale, ainsi que par celle du pays dans lequel des changements sont attendus. Á cet effet, la consultation du Parlement européen dans le processus de décision s’avère essentiel pour asseoir la légitimité des sanctions envisagées.
Les députés estiment que le recours aux sanctions doit être envisagé face à des comportements d'autorités portant gravement atteinte à la sécurité et aux droits des personnes. Sachant que toute dégradation volontaire et irréversible de l'environnement constitue une menace pour la sécurité ainsi qu'une violation grave des droits de l'homme, les députés appellent le Conseil et la Commission à intégrer ce type d’atteinte volontaire parmi les motifs pouvant conduire à l'adoption de sanctions.
Pour des sanctions efficaces : pour les députés, l'argument de l'"inefficacité" des sanctions ne doit pas pousser l’UE à les lever mais plutôt à les réorienter ou les réévaluer. Les députés donnent à cet égard un cadre d’ensemble pour rendre les sanctions plus efficaces. Pour rendre une sanction plus efficace, il faut notamment en mesurer l’impact sur les activités privées ou professionnelles des membres du régime visé, sur le fonctionnement du régime lui-même ou son aptitude à inciter l'arrêt ou la modification des politiques ayant motivé leur adoption. Les députés estiment que l'efficacité d'une sanction est souvent liée à son application dans le temps. Ils déplorent, à cet égard, l'utilisation de clauses de levée automatique (ex. : clauses de suspension ou "sunset clauses") sans évaluation préalable. En tout état de cause, les députés s’opposent à l’application de sanctions générales et aveugles à l’encontre d’un quelconque pays, dans la mesure où cette approche mène à l’isolement total de la population, lui préférant des sanctions ciblées contre les autorités du régime incriminé, accompagnées de mesures de soutien pour la société civile et la population.
Sanctions et stratégie générale de l’UE en faveur des droits de l'homme : pour les députés, l’approche à adopter en matière de sanctions devrait inclure, en parallèle, le dialogue politique, des mesures d'incitation et la conditionnalité. Elle pourrait inclure, en dernier ressort, la mise en œuvre de mesures coercitives. Cette approche globale, intégrée et cohérente devrait s’appuyer sur les actuelles clauses « droits de l'homme », sur le système des préférences généralisées et sur l'aide au développement. Les clauses « droits de l’homme » ne doivent donc pas être mises en œuvre isolément. Plus loin, les députés appellent la Commission et les États membres à ne pas proposer d'accords de libre-échange ni d'accords d'association - même comportant des clauses relatives aux droits de l'homme - aux gouvernements de pays dans lesquels des violations généralisées des droits de l'homme sont perpétrées. Il est parallèlement demandé à la Commission d'élaborer dans chaque document de stratégie par pays, une stratégie spécifique concernant les droits de l'homme et la démocratie.
Coordonner l’action de l’UE avec celle de la communauté internationale : convaincus qu'une action coordonnée par la communauté internationale a davantage d'effets que des actions disparates et inégales menées par des États ou des entités régionales, les députés soulignent la nécessité de coopérer avec des instances comme l’ONU ou tout au moins avec les États qui ne sont pas membres de l’UE et qui appliquent des sanctions. Les députés suggèrent en particulier la création d’une liste commune d’individus soumis à un gel des avoirs, d’une interdiction de séjour, etc. afin de créer l'effet le plus large possible au niveau international et maximiser l'efficacité des sanctions qu’elles soient communautaires ou non. Les députés soulignent à cet égard l’urgence de définir une vision commune vis-à-vis de la Birmanie.
Mieux évaluer les situations pour cibler les sanctions : les députés insistent sur la nécessité d’une analyse plus approfondie de chaque situation afin d'évaluer l'effet potentiel de différentes sanctions et de choisir celles qui sont les plus efficaces. Ce travail d’analyse ne doit toutefois pas freiner la prise de décision en matière de sanctions. C’est pourquoi, ils suggèrent un mécanisme en 2 étapes tel que celui prévu par la PESC qui offre la possibilité d’une réaction politique urgente (via l’adoption d’une position commune), puis de sanctions. Les députés demandent en outre l'inclusion systématique, dans les instruments juridiques, de critères de référence clairs et précis en guise de conditions à la levée des sanctions. Il faut en outre que le Parlement soit étroitement associé à toutes les étapes du processus de sanctions: du processus décisionnel, en passant par le choix des sanctions ainsi qu’à la définition des critères de référence, ou encore à l'évaluation de leur mise en œuvre. Les députés saluent au passage l'embargo sur les armes imposé à la Chine depuis les évènements de Tiananmen en 1989, embargo qui atteste de la constance de l’Union en matière d’application de sanctions, sachant que la Chine n’a toujours pas justifié ce massacre.
Efficacité des actions ciblées : pour juger de l'efficacité des mesures prises, l’Union a besoin d’outils. Mais les députés reconnaissent que les sanctions de portée économique générale, comme celles qu’elle avait appliquées dans le passé à l’Iraq ont eu des effets pervers contre-productifs pour la population. Ils se réjouissent donc du fait que cette approche ait été abandonnée au profit de sanctions "intelligentes", plus ciblées, conçues pour avoir un impact maximal sur les responsables. Globalement, les députés considèrent que des sanctions économiques utilisées indépendamment d’autres instruments politiques sont très peu susceptibles de contraindre le régime à effectuer des modifications politiques d’importance. C’est d’abord et avant tout les dirigeants des régimes concernés qu’il faut atteindre et les auteurs de violations des droits de l’homme. Les députés soutiennent donc le recours à des sanctions financières ciblées sur les principaux dirigeants des régimes visés et les membres de leur famille. Les députés demandent également l’application limitée des "exemptions extraordinaires" au gel des avoirs, sauf pour les “exemptions humanitaires” afin de permettre à la population d’accéder aux soins de première nécessité. Ils réclament en outre des mesures visant à empêcher les dirigeants des régimes visés d’accéder aux services financiers communautaires. Dans ce contexte, les parlementaires souhaitent un renforcement de la collaboration avec la direction de Swift en Europe afin d’accroître l’efficacité du gel des comptes placés sur une liste noire et du blocage des transferts de fonds. De la même manière, les députés souhaitent la mise en place d’une coopération coordonnée entre les États membres et la Commission pour la mise en œuvre, dans chaque État membre, des embargos sur les armes décrétés par l’UE. Il s’agit également de rendre le code de conduite sur les exportations d’armes juridiquement contraignant. Parmi les actions ciblées efficaces, les députés recensent encore les restrictions d’accès (interdictions de déplacements, de visas) pour les personnes ou entités non étatiques qui figurent sur une liste noire d’assister à des réunions officielles de l'UE et de voyager dans l’Union à des fins privées. Ils regrettent que certain États membres n’aient pas respecté certaines interdictions de visas pourtant décrétées par l’Union européenne.
Des sanctions ciblées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme : les députés soutiennent l’approche actuelle d’inscription et de désinscription de personnes physiques et morales sur des listes noires, notamment le système des listes antiterroristes définies au plan européen. Ils regrettent toutefois qu'aucune des instances judiciaires ne soit en mesure d'évaluer le bien-fondé des listes noires, étant donné que les éléments qui justifient une inscription sur ces listes reposent principalement sur des informations détenues par les services secrets. Pour les députés, la discrétion de rigueur ne doit pas être synonyme d’impunité et il est donc important que les États membres de l’UE garantissent un contrôle parlementaire effectif sur les activités des services secrets à la base de la définition des listes noires. Le Parlement européen devrait notamment être associé aux travaux réalisés par la Conférence des comités de surveillance des services de renseignement des États membres.
Pour une politique mixte de sanctions : bien que favorables aux sanctions, les députés estiment qu'une stratégie d'ouverture et une politique de sanctions ne s'excluent pas l'une l'autre. Il faut donc également envisager des mesures positives associées aux sanctions. Les députés en veulent pour témoignage le cycle de sanctions imposées à l'Ouzbékistan entre novembre 2007 et avril 2008: tout en maintenant pendant un an les sanctions imposées à ce pays pour n'avoir pas satisfait aux critères initiaux relatifs aux enquêtes sur le massacre d'Andijan, le Conseil a décidé de suspendre l'application de l'interdiction de visas, ce qui a laissé au régime ouzbek 6 mois pour se conformer à une série de critères sur les droits de l'homme, tandis qu'il restait sous la menace de la réinstauration de l’interdiction. Cette approche a donné quelques résultats positifs même si globalement la situation en Ouzbékistan reste très aléatoire. En tout état de cause, les députés demandent que les sanctions soient systématiquement accompagnées de mesures positives pour soutenir la société civile et les défenseurs des droits de l'homme et demandent que les programmes et instruments thématiques de l’Union (IEDDH, acteurs non étatiques, programme "investir dans les ressources humaines") contribuent à cet objectif.
Recommandations en rapport avec les institutions de l'UE et les États membres : les députés appellent la Commission et le Conseil à entreprendre une évaluation complète et approfondie de la politique communautaire de sanctions et à faire en sorte que les stratégies d'aide au développement relevant de l'Instrument de coopération au développement et du Fonds européen de développement soient cohérentes avec les régimes de sanctions. Globalement, les députés demandent que tout soutien budgétaire de l’UE soit explicitement lié à des critères ayant trait aux droits de l'homme ainsi qu’une coopération renforcée entre les autorités compétentes des États membres et la Commission afin de garantir une mise en œuvre plus cohérente et plus efficace des mesures restrictives. Enfin, pour donner plus de légitimité aux sanctions, le Parlement devrait être associé à tous les stades de la procédure de mise en œuvre et de supervision des sanctions.