Le Parlement européen a adopté par 467 voix pour, 62 contre et 61 abstentions une résolution sur le Rapport 2007 sur les progrès accomplis par la Turquie sur la voie de l’adhésion.
Le rapport d’initiative avait été déposé en vue de son examen en séance plénière par Mme Ria OOMEN-RUIJTEN (PPE-DE, NL), au nom de la commission des affaires étrangères.
Le Parlement se félicite tout d’abord de l'engagement pris par le 1er Ministre Erdogan de faire de 2008 l'année des réformes. Il attend maintenant du gouvernement turc qu’il tienne ses promesses et qu’il transforme la Turquie en une démocratie moderne et prospère, fondée sur un État laïque, et une société pluraliste. La Plénière souligne en outre l'importance pour la Turquie de lutter contre toutes formes de discrimination, conformément à l'article 13 du traité CE qui fixe le principe de l'égalité pour tous, indépendamment du sexe, de la race ou de l'origine ethnique, de la religion ou des convictions, du handicap, de l'âge ou de l'orientation sexuelle.
Vers une société démocratique et prospère : le Parlement estime que seule une société guidée par le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, reposant sur la démocratie et une économie de marché à orientation sociale peut devenir une société pacifique, stable et prospère. Il se félicite dès lors de ce que 2007 ait vu la démocratie l'emporter sur les tentatives des militaires de s'ingérer dans le processus politique. Il faut maintenant que la Turquie poursuive ses efforts pour s’assurer que les dirigeants politiques démocratiquement élus assument la pleine responsabilité des politiques et que les forces armées reconnaissent pleinement et sans ambiguïté le contrôle des autorités civiles. Le gouvernement turc est notamment appelé à respecter le pluralisme et la diversité de la Turquie et à œuvrer à la modernisation du pays. Le Parlement attend dès lors de la Cour constitutionnelle turque qu'elle respecte les principes de l'État de droit, les normes européennes et les lignes directrices sur l'interdiction et la dissolution des partis politiques et les mesures analogues. Il invite également le parlement turc à mettre la Constitution en conformité avec les normes relatives à l'interdiction des partis politiques.
Réforme du Code pénal : le Parlement considère que l'amendement apporté à l'article 301 du Code pénal (article relatif au « dénigrement de l’identité turque, de la République, et des fondements et institutions de l’État » introduit en 2005 en remplacement de l’article 159 de l’ancien Code pénal et régulièrement invoqué pour poursuivre des défenseurs des droits humains, des journalistes, etc.), adopté par le parlement turc le 30 avril 2008, constitue un premier pas dans la voie d'une réforme fondamentale du code pénal turc. Il attend toutefois de nouvelles initiatives et souligne que des progrès doivent être réalisés quant à la liberté d'expression, tant sur le plan théorique que dans la pratique. La Plénière déplore en particulier le fait que le nombre de personnes poursuivies sur la base de dispositions juridiques autorisant des restrictions arbitraires à l'expression d'opinions ait encore augmenté en 2007. Pour le Parlement, l'abrogation de l'article 301 du code pénal et d'autres dispositions juridiques représentant une restriction injustifiable de la liberté d'expression, serait la meilleure solution pour assurer que la Turquie garantisse pleinement la liberté d'expression et la liberté de la presse.
Liberté religieuse et médiation : le Parlement prie également la Turquie de réaliser de nouvelles avancées en matière de liberté religieuse même si dans ce domaine, d’importantes réformes ont vu le jour en 2007. Le Parlement demande en particulier la réouverture du séminaire orthodoxe grec de Halki et l'usage public du titre ecclésiastique de patriarche œcuménique ainsi que de nouvelles avancées en matière de loi sur le médiateur. Dans la foulée, le Parlement recommande à la Turquie de coopérer avec le médiateur européen et les médiateurs nationaux des États membres.
Question kurde : le Parlement demande au gouvernement turc de lancer à titre prioritaire une initiative politique permettant une solution durable de la question kurde, laquelle ne peut reposer que sur des améliorations tangibles en matière culturelle, économique et sociale offertes aux citoyens d'origine kurde, y compris des possibilités réelles d'apprendre le kurde dans l'enseignement public et privé et de l'utiliser dans les émissions radiodiffusées, dans la vie quotidienne et dans l'accès aux services publics. Il considère qu'une interdiction du parti pour une société démocratique (Democratic Society Party, DTP) contrecarrerait une solution politique dans ce domaine. Parallèlement, le Parlement appelle les partis démocratiques kurdes et les maires à prendre leurs distances avec le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et à agir de manière constructive pour rechercher une solution politique durable à la question kurde dans un État turc démocratique. Il déplore en particulier les nombreux procès intentés contre des maires élus et d'autres responsables politiques au motif qu'ils ont employé la langue kurde, ainsi que la condamnation de Leyla Zana (activiste kurde). Plus largement, le Parlement demande à la Turquie de présenter une stratégie générale nationale en vue de régler la question des personnes déplacées à l'intérieur du pays, stratégie qui remédierait aux actuelles déficiences juridiques et fournirait l'aide financière nécessaire pour résoudre correctement le problème du retour et de l'indemnisation des personnes concernées. De son côté, la Commission devrait lier l'assistance accordée au titre de l'instrument d'aide de préadhésion (IAP) à l'élaboration d'une stratégie d’ensemble des autorités turques vis-à-vis de cette région. Le Parlement condamne par ailleurs les violences commises par le PKK (ex. : Diyarbakir en janvier 2008) ainsi que toutes les formes de terrorisme, appelant une nouvelle fois le PKK à respecter le cessez-le-feu.
Femmes et laïcité : conscient de l’élaboration en cours d’une nouvelle constitution laïque turque, le Parlement estime qu’il s’agit là d’une occasion unique de laisser plus de place aux femmes dans la société civile. Pour faire de cette réforme une réussite, il préconise l’association de tous les partis politiques, des minorités ethniques et religieuses et des partenaires sociaux au processus d’élaboration de ce texte. Il demande que la future constitution évite de se référer à des critères vagues comme la « moralité générale » et indique qu'une partie de la population semble déçue et préoccupée par le fait que la levée de l'interdiction du port du foulard dans les écoles et les universités turques ne s'inscrive pas dans le cadre d’une consultation plus vaste de la société civile. Globalement, le Parlement salue les progrès accomplis par ce pays en matière de protection des femmes contre la violence. Il faut toutefois encore poursuivre les efforts en la matière, en prévoyant davantage de refuges pour les victimes et en intensifiant la formation des forces de l'ordre. Le Parlement se dit également déçu du taux globalement faible d’emploi des femmes en Turquie (23,8% de taux d’occupation). Par conséquent, des nouveaux efforts sont attendus pour renforcer encore la participation des femmes, notamment à la vie publique et politique, en général. La Plénière encourage, par ailleurs, le parlement turc à mettre en place une commission parlementaire spécialisée dotée de pouvoirs législatifs pour les femmes, y voyant un instrument essentiel pour améliorer les droits des femmes en Turquie.
Torture et mauvais traitements : s’il est vrai que la tendance est régulièrement à la baisse pour le nombre de cas de tortures avérés, le Parlement craint que la loi antiterrorisme et la loi sur les pouvoirs de police ne soit l’occasion de revenir sur les progrès accomplis. Il faut également que la Turquie renforce sa lutte contre les actes de torture perpétrés en dehors et à l'intérieur de ses centres de détention. Globalement, la Plénière estime que la police turque recoure de manière excessive à la force contre les manifestants (ex. : le 1er mai 2008 à Istanbul). Elle réaffirme que la liberté d'association et les actions pacifiques menées par les syndicats constituent des droits fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’Homme.
Vers une économie de plus en plus florissante : le Parlement félicite la Turquie pour l'évolution positive de son économie. Des efforts considérables sont toutefois nécessaires pour s'attaquer au problème de l'économie parallèle et pour placer le système de sécurité sociale sur une base durable. Des efforts sont également nécessaires en matière de dialogue social, de respect des conventions internationales du travail, et d'accès à l'éducation. Le Parlement s’inquiète surtout du niveau de corruption qui a cours en Turquie et des écarts de développement entre régions turques. En termes de cohésion, le Parlement appelle la Turquie à appliquer des normes européennes dans la construction de barrages dans la vallée du Munzur, d'Allianoi, d'Ilisu et dans le projet d'extraction d'or à Bergama.
Questions régionales et relations extérieures : le Parlement rappelle l'engagement pris par la Turquie d'entretenir de bonnes relations de voisinage avec la Grèce (par exemple en ce qui concerne la délimitation du plateau continental de la mer Égée) et la Bulgarie (par exemple en ce qui concerne les droits de propriété des réfugiés bulgares de Thrace). Il souligne en particulier la nécessité de parvenir à un règlement global de la question de Chypre sur la base des principes sur lesquels repose l'UE. Á cet égard, le Parlement se félicite du fait que les relations entre la Grèce et la Turquie se soient améliorées au cours de la dernière décennie et que le climat politique demeure bon, comme il est apparu lors de la visite officielle récemment effectuée par le Premier ministre de la République hellénique Kostas Karamanlis en Turquie. Il demande également à la Turquie de mettre un terme au blocus économique avec l'Arménie et de rétablir des relations économiques et politiques complètes avec ce pays et de s’engager dans un processus de réconciliation permettant un débat franc et ouvert sur les événements passés. La Plénière reconnaît le rôle de la Turquie en tant que partenaire important de l'Union, en vue de réaliser les objectifs de l'Union en matière de politique étrangère dans la région de la Mer noire, en Asie centrale et au Moyen-Orient au sens large. Elle invite la Commission et le Conseil à mieux exploiter le potentiel de relations étroites entre l'Union et la Turquie dans ces régions.
Relations UE-Turquie : le Parlement appelle le gouvernement turc à appliquer pleinement et sans délai les dispositions de l'accord d'association CE-Turquie et de son protocole additionnel en rappelant que son non-respect continuera à affecter gravement le processus de négociation avec ce pays. Il reconnaît l'ambition de la Turquie de devenir une plaque tournante de l'Eurasie pour les approvisionnements en énergie et appelle ce pays à apporter tout son soutien au projet de pipeline Nabucco (projet européen prioritaire). Il réaffirme l'importance des programmes bilatéraux et trilatéraux de coopération transfrontalière (Turquie-Grèce-Bulgarie) et de ceux qui sont réalisés dans le contexte du programme de la mer Noire (IEVP/Coopération transfrontalière).
Enfin, le Parlement appelle la Commission à négocier un accord de facilitation des visas entre l'UE et la Turquie.