Nouvelle stratégie pour l'Afghanistan

2009/2217(INI)

La commission des affaires étrangères a adopté le rapport d’initiative de Pino ARLACCHI (S&D, IT) sur une nouvelle stratégie en Afghanistan.

Les députés souhaitent qu’une nouvelle stratégie de l'Union européenne soit mise en place à destination de l'Afghanistan avec comme base deux idées maîtresses:

  1. une reconnaissance de la détérioration continue des indicateurs sécuritaires et socio-économiques en Afghanistan malgré dix ans d'engagement et d'investissements internationaux,
  2. la nécessité de promouvoir un changement d'état d'esprit profond de la part de la communauté internationale en renforçant l'implication des Afghans.

Pour les députés, toute solution à long terme à la crise afghane ne peut passer que par la résolution de la crise de la sécurité intérieure, de la protection civile et du développement économique et social. Á cet effet, des mesures concrètes devront être prises pour éradiquer la pauvreté, lutter contre la discrimination à l'égard des femmes, renforcer les droits de l'homme et l'État de droit, mettre en place des mécanismes de réconciliation par l'arrêt de la production d'opium, renforcer l'État et expulser d'Al-Qaïda du pays.

Globalement, l'Union et ses États membres doivent soutenir l'Afghanistan dans la reconstruction de son propre État, avec des institutions démocratiques plus fortes, une sécurité fondée sur une armée et une police comptables de leurs actes, un pouvoir judiciaire compétent et indépendant, l'intégrité territoriale, l'égalité entre hommes et femmes, la liberté des médias, le renforcement de l'éducation et de la santé, un développement économique durable dans le respect des traditions historiques, religieuses, spirituelles et culturelles des communautés afghanes.

Pour créer une nouvelle dynamique en Afghanistan, les députés soutiennent l’idée d’un programme phare spécifique et à long terme en se focalisant sur les priorités définies par les afghans eux-mêmes.

Les députés soulignent en outre la nécessité d’améliorer durablement les conditions de vie des femmes en leur offrant le droit à une activité publique et politique, une protection contre les fondamentalistes et des droits pour éviter toute pratique discriminatoire. Il faut également largement élever le niveau de financement et d'aide politique et technique dédié aux femmes afghanes.

Au plan politique, les députés constatent que les élections législatives du 18 septembre 2010 ont été entachées de fraudes et de violences et regrettent que de nombreux Afghans n'aient pu exercer leur droit fondamental de vote. Ils dénoncent également la faiblesse des procédures judiciaires et le maintien de la peine de mort.

Le rapport aborde également la nécessité d’une réforme en profondeur du pays. Pour se faire, les députés se focalisent sur 4 grandes thématiques que sont : i) l’aide internationale et la coordination; ii) les implications du processus de paix; iii) les impacts liés à la formation de la police; iv) l’élimination de la culture du pavot à travers le développement de cultures alternatives.

Les propositions de la commission parlementaire sur ces thématiques peuvent se résumer comme suit :

1) Aide internationale – utilisation et abus : les députés rappellent que le budget combiné de l'Union européenne (Communauté européenne et États membres) affecté à l'aide à l'Afghanistan sur la période 2002-2010 s'est élevé à 8 milliards EUR environ. Toutefois, en dépit de cette aide massive, la situation en Afghanistan continue d'être désolante, puisque depuis 2004, le nombre d'Afghans vivant sous le seuil de pauvreté a crû de 130%. Des mesures s’imposent dès lors dont les principales peuvent se résumer comme suit :

  • renforcer la transparence de l'aide financière allouée au gouvernement afghan, aux ONG locales et internationales, et l'assortir de l'obligation de rendre des comptes;
  • distribuer l'aide humanitaire de manière géographiquement plus homogène, en visant un objectif d'urgence;
  • lutter contre la corruption tous azimuts puisqu’elle entrave l'accès aux services publics de base, tels que la santé et l'éducation, et forme un obstacle de taille au développement socio-économique du pays (seuls 6 milliards USD, soit 15% des 40 milliards USD d'aide, ont effectivement été perçus par le gouvernement afghan entre 2002 et 2009 et, sur les 34 milliards restants, canalisés par des organisations internationales, etc., entre 70 et 80% ne sont jamais parvenus aux bénéficiaires prévus) ;
  • renforcer la coordination entre pays donateurs internationaux et prévoir des évaluations détaillées de l'aide européenne et internationale ;
  • réduire drastiquement les coûts opérationnels des organes humanitaires et de développement présents en Afghanistan dont l’UE, en allouant des fonds à des projets concrets mis en œuvre dans le cadre d'un partenariat effectif et équilibré avec les institutions afghanes ;
  • renforcer l’approche régionale de la reconstruction et du développement afin d'assurer un développement transfrontalier ;
  • procéder à une évaluation de l'impact des mesures de l'Union sur le pays et du niveau de coordination et de coopération entre les organes de l'Union et d'autres missions et mesures internationales.

Globalement, les députés demandent que l'aide à l'Afghanistan parvienne directement à la population concernée. Á cet effet, les organisations humanitaires devraient être chargées de la répartition de l'aide dans le pays et les militaires ne devraient intervenir que dans des cas tout à fait exceptionnels. Ils soulignent par ailleurs que l'intervention d'équipes de reconstruction régionale militaires dans le contexte de l'aide à la reconstruction et/ou au développement est inopportune étant donné qu'elle rend difficile la délimitation entre les militaires et le personnel d'aide au développement. Les députés s’insurgent également contre la décision de mettre la chaîne d'approvisionnement de l'armée américaine entre les mains du secteur privé et rejettent avec force le racket et l'extorsion à tous les niveaux de la chaîne d'approvisionnement de l'armée. Ils craignent au passage que la traçabilité intégrale de la contribution financière de l'Union puisse également ne pas être pleinement garantie dans tous les cas.

2) Processus de paix : rappelant la nécessité absolue d’une bonne gouvernance en Afghanistan, les députés appellent à une réforme judiciaire en profondeur du pays. Ils estiment qu'une large part des responsabilités vis-à-vis de l'impasse actuellement atteinte en Afghanistan revient à des erreurs d'appréciation commises au départ, avant l'adoption de la nouvelle stratégie de contre-insurrection, par les forces de coalition qui prévoyaient une victoire militaire rapide sur les talibans et une transition aisée vers un pays stable géré par un gouvernement légitime, fortement soutenu par les pays occidentaux. Ils considèrent que la présence de la force des talibans a été sous-estimée, la capacité du gouvernement Karzaï à garantir la gouvernance du pays surestimée, et que, de ce fait, le travail de reconstruction et de développement du pays s'est trouvé relégué à l'arrière plan. Dans ce contexte, ils en appellent à des nouvelles mesures dont les principales peuvent se résumer comme suit :

  • promouvoir une transition favorisant une approche plus civile et moins militaire ;
  • privilégier une solution politique incluant des négociations avec les talibans et la participation de tous les autres groupes belligérants, ainsi que des autres acteurs politiques du pays qui sont prêts à participer à la formation d'un gouvernement d'unité nationale à même de mettre fin à la guerre;
  • bannir Al-Qaïda du pays et cesser d'encourager le terrorisme à l'échelle internationale, ainsi que tout autre groupe terroriste du pays;
  • prendre des mesures en vue d'éliminer la culture du pavot.

Les députés évoquent également la complexité du conflit en place et le rôle-clé joué par le Pakistan dans ce contexte. Ils condamnent avec la plus grande fermeté les liens qu'entretiennent avec les insurgés les services de renseignement pakistanais (ISI), qui entendent s'assurer que le Pakistan obtiendra également une part satisfaisante des dividendes de la paix. Les députés soulignent cependant que, pour que la paix puisse s'établir en Afghanistan, des accords politiques devront être conclus entre les principales puissances régionales, notamment l'Inde, le Pakistan, l'Iran et les États de l'Asie centrale, la Russie, la Chine et la Turquie, et qu'elles devront accepter une position commune de non-ingérence et soutenir un Afghanistan indépendant. Ils en appellent également à une normalisation des relations entre l'Afghanistan et le Pakistan par un règlement final de la question de la frontière internationale entre les deux pays.

Les députés demandent parallèlement un rôle plus actif de l'Union européenne dans la reconstruction et le développement de l'Afghanistan. Celle-ci devrait canaliser avec les États membres et les États-Unis, une partie plus importante de l'aide internationale, en passant par les administrations locales et le gouvernement de Kaboul. Elle devrait également encourager les États-Unis à s'éloigner de leur politique consistant à contourner les institutions locales dans la fourniture de l'aide internationale ou en utilisant des forces spéciales et des milices locales, dont le statut légal est douteux.

3) Police et État de droit : les députés soulignent que l'Afghanistan doit être doté d'une force de police efficace et d'une armée autonome capables de garantir un niveau minimal de sécurité pouvant permettre un retrait ultérieur de la présence militaire étrangère du pays. Ils sont toutefois parfaitement conscients que la mise sur pied de forces de sécurité autonomes est plutôt un objectif à long terme. Il faut d’abord s’atteler à la formation des officiers de l'armée et mieux coordonner les projets en évitant tout double emploi. Plusieurs mesures sont proposées dans ce contexte :

  • une réforme profonde du ministère de l'intérieur ;
  • le renforcement du mandat de la mission EUPOL ;
  • une formation plus cohérente et plus durable de la police en se concentrant d’abord sur l'alphabétisation des recrues ;
  • la fin immédiate de la formation de la police par de contractants privés ;
  • la mise en place d’un programme de formation à grande échelle de la police lancé par la mission EUPOL, l'OTAN et la FIAS (Force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan);
  • l’augmentation sensible du nombre de formateurs de la police sur le terrain, de manière à ce que l'objectif consistant à disposer avant la fin de 2011 de 134.000 policiers afghans entraînés, défini lors de la conférence de Londres, devienne un scénario réaliste ; prévoir dans cette optique, des missions bilatérales de formation de la police des États membres avec la mission EUPOL ;
  • la préférence accordée au plan local à des recrues bien payées maîtrisant un niveau de base d'écriture et de lecture, qui ne soient pas des toxicomanes et qui présentent de meilleures qualités psychologiques et physiques que le groupe actuel.

Les députés soulignent que la formation de la police ne peut pas être efficace sans un système judiciaire qui fonctionne correctement. Il faut donc accroître le soutien financier et technique afin de renforcer le système judiciaire, notamment en augmentant la rémunération des juges à tous les niveaux et mettre en place, en coordination avec les Nations unies, une mission spécialisée ayant pour tâche de former les juges ainsi que les fonctionnaires du ministère de la justice et du système pénal de l'Afghanistan.

4) Stupéfiants : les députés font observer que l'Afghanistan est la source de 90% de l'opium illégal mondial et que, pourtant, quand les forces de la coalition sont entrées à Kaboul en 2001, pas un seul plan de pavot à opium n'était cultivé en Afghanistan du fait du succès rencontré par les Nations unies, qui avaient obtenu une interdiction de sa culture. Du fait de l'impunité donnée aux cultivateurs et aux trafiquants, la culture a rejoint en deux ans les niveaux constatés avant 2001. Pour les députés, une force militaire nombreuse et disposant de ressources suffisantes n'aurait dû rencontrer aucun problème pour maintenir ultérieurement cette situation par le biais de projets locaux de développement agricoles placés sous la protection de ses troupes contre les talibans et les chefs de guerre locaux. Force est toutefois de constater que la production d'opium demeure un problème social, économique et de sécurité majeur. L'Union européenne doit donc en faire une priorité stratégique dans ses politiques à l'égard de l'Afghanistan.

Les députés rappellent également qu'en Europe, plus de 90% de l'héroïne provient de l'Afghanistan et que le coût pour la santé publique dans les pays européens s'élève à des milliards de dollars. Ce problème mérite dès lors une réponse internationale en s'attaquant à tous les maillons de la chaîne de la drogue. Ceci suppose en particulier:

  • une aide aux agriculteurs pour réduire l'offre;
  • la prévention et le traitement des consommateurs de drogues pour juguler la demande ;
  • l'imposition de sanctions contre les intermédiaires;
  • un investissement massif dans la mise en place d'une politique agricole et rurale globale qui puisse offrir une alternative crédible et durable aux producteurs d'opium;
  • des actions ciblées destinées à réduire le nombre des toxicomanes en Afghanistan même.

Les députés font encore remarquer que le commerce des stupéfiants a atteint, en 2009, un montant de 3,4 milliards USD et que la valeur brute potentielle des exportations d'opium représentait 26% du PIB afghan. Ils indiquent en outre que le réseau des talibans ne capte que 4% des profits générés par le commerce annuel de stupéfiants, 21% allant aux fermiers locaux et 75% à des fonctionnaires du gouvernement, à la police, à des intermédiaires locaux et régionaux et à des trafiquants. Les alliés afghans de l'OTAN se taillent en réalité la part du lion des profits liés au trafic de stupéfiants. Pendant ce temps, les États-Unis et la communauté internationale ont dépensé, entre 2001 et 2009, 1,61 milliard USD pour financer des mesures de lutte contre les stupéfiants, et ce sans impact retentissant sur la production et le trafic. Ainsi, faute de dégager l'économie de l'Afghanistan de la dépendance des stupéfiants et de trouver un modèle de développement économique durable de remplacement, il ne sera pas possible d'atteindre les objectifs de sécurisation et de stabilisation de la région. Ils demandent dès lors que soient prévues d'autres sources de revenus viables pour les 3,4 millions d'Afghans qui vivent de la culture du pavot comme par exemple, la culture du safran ou de la grenade, notamment. Ils estiment qu'un processus similaire d'élimination progressive de la culture du pavot à opium pourrait être envisagé pour l'Afghanistan pour un coût de 100 millions EUR par an en dédiant 10% de l'aide annuelle que l'Union européenne verse au pays sur une période de cinq ans. Ils souhaitent la mise en place d’un plan national sur cinq ans pour l'élimination de la culture illicite du pavot comportant des délais et des critères spécifiques, soutenu par une coopération UE-Russie (ce pays étant la victime principale de l'héroïne afghane).

Pour conclure, les députés invitent le Conseil et la Commission à inscrire pleinement la stratégie ainsi proposée dans leurs stratégies en cours et à prévoir toutes les implications budgétaires des propositions formulées dans le présent rapport.