Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale. Refonte
OBJECTIF : refonte du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I).
ACTE PROPOSÉ : Règlement du Parlement européen et du Conseil.
CONTEXTE : le règlement « Bruxelles I » est la pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière civile dans l'Union européenne. Le règlement est entré en vigueur en mars 2002. Huit ans plus tard, la Commission a examiné son fonctionnement dans la pratique et a jugé nécessaire d'y apporter des modifications.
Si, dans l'ensemble, l'application du règlement est jugée satisfaisante, la consultation des parties intéressées et plusieurs études ont fait apparaître de nombreuses faiblesses dans son fonctionnement actuel, auxquelles il importe de remédier. Quatre grands points faibles ont été relevés:
- la procédure de reconnaissance et d'exécution d'une décision dans un autre État membre (exequatur) demeure un obstacle à la libre circulation des décisions judiciaires, qui entraîne des coûts inutiles et des retards pour les parties intéressées et dissuade les entreprises et les citoyens de profiter pleinement du marché intérieur;
- l'accès à la justice dans l'Union est peu satisfaisant dans l'ensemble lorsque les litiges font intervenir des défendeurs établis à l'extérieur de l'Union. En effet, à quelques exceptions près, le règlement actuel ne s'applique que lorsque le défendeur est domicilié dans l'Union. Dans le cas contraire, la compétence est régie par le droit national. Or la diversité des droits nationaux fait que les entreprises des États membres traitant avec des partenaires originaires des pays tiers ont un accès inégal à la justice ;
- l’efficacité des accords d'élection de for reste à améliorer. À l'heure actuelle, le règlement oblige la juridiction désignée par les parties dans un tel accord à surseoir à statuer si une autre juridiction a été saisie en premier lieu. Cette règle permet aux parties de mauvaise foi de retarder le règlement du litige par la juridiction désignée en saisissant en premier une juridiction non compétente. Cela entraîne des coûts supplémentaires et des retards, et nuit à la sécurité juridique et à la prédictibilité de la résolution des litiges ;
- le lien entre l'arbitrage et le procès judiciaire doit être amélioré. En effet, le premier est exclu du champ d'application du règlement, mais en contestant une convention d'arbitrage devant un tribunal, une partie peut véritablement en saper les effets et créer une situation où des procédures parallèles inefficaces risquent d'aboutir à des règlements du litige incompatibles.
ANALYSE D’IMPACT : l'analyse d'impact accompagnant la proposition contient une analyse approfondie des problèmes posés par le régime actuel ainsi que les incidences des différentes options envisagées pour les résoudre.
BASE JURIDIQUE : article 81, paragraphe 2, points a), c) et e), du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).
CONTENU : la révision proposée a pour objectif général de poursuivre le développement de l'espace européen de justice, en supprimant les derniers obstacles à la libre circulation des décisions judiciaires, conformément au principe de reconnaissance mutuelle. Tous les éléments de la réforme respectent les droits énoncés dans la Charte des droits fondamentaux.
Les principaux éléments de la réforme sont les suivants:
1) Suppression de la procédure intermédiaire de reconnaissance et d'exécution des décisions judiciaires (exequatur), sauf pour les décisions rendues dans les affaires de diffamation et les actions collectives en indemnisation.
Aujourd'hui, la coopération judiciaire et le niveau de confiance entre les États membres ont atteint un seuil tel qu'il est possible de passer à un système plus simple, moins coûteux et plus automatique de circulation des décisions judiciaires, qui mette fin aux formalités actuelles entre États membres. La suppression de l'exequatur s'accompagnera de garanties procédurales assurant une protection adéquate du droit du défendeur à accéder à un tribunal impartial et de son droit à un recours effectif, prévus à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Le défendeur aurait à sa disposition trois grandes voies de recours pour empêcher, dans des circonstances exceptionnelles, qu'un jugement rendu dans un État membre ne prenne effet dans un autre État membre. Ces garanties concernent les situations actuellement visées par certains des motifs de refus existants, afin notamment d'assurer la protection des droits de la défense, à cette différence essentielle près que le critère matériel de l'ordre public est supprimé. On économisera ainsi le temps et les frais nécessaires à la procédure d'exequatur, tout en continuant d'assurer l'indispensable protection des défendeurs.
La proposition contient également une série de formulaires standards, destinés à faciliter la reconnaissance ou l'exécution du jugement étranger en l'absence de la procédure d'exequatur, ainsi que la demande de réexamen dans le cadre de la procédure susmentionnée de garantie des droits de la défense. Ces formulaires : i) faciliteront l'exécution du jugement par les autorités compétentes, en particulier lorsque des intérêts et des frais doivent être calculés ; ii) rendront moins nécessaire la traduction du jugement et iii) faciliteront les demandes de réexamen du jugement par les défendeurs qui doivent agir dans un autre État membre.
2) Amélioration du fonctionnement du règlement dans l'ordre juridique international.
La proposition étend les règles de compétence prévues par le règlement aux défendeurs originaires de pays tiers. Cette modification donnera aux entreprises et aux citoyens la possibilité de poursuivre dans l'UE des défendeurs originaires de pays tiers, parce que les règles spéciales de compétence, qui attribuent par exemple la compétence au tribunal du lieu d'exécution du contrat, deviennent applicables dans ces cas. Cela garantira que les règles de compétence visant à protéger les consommateurs, les salariés et les assurés s'appliqueront également si le défendeur est domicilié en dehors de l'UE.
La proposition harmonise en outre les règles de compétence résiduelle et crée deux lieux supplémentaires de règlement pour les litiges impliquant des défendeurs domiciliés en dehors de l'UE :
- elle prévoit qu'un défendeur qui n'est pas ressortissant de l'UE peut être poursuivi au lieu où il possède des biens mobiliers, à la condition que la valeur de ces biens ne soit pas disproportionnée par rapport à celle de la créance et que le litige ait un lien suffisant avec l'État membre de la juridiction qui est saisie ;
- en outre, les juridictions d'un État membre pourront connaître d'un litige lorsque ce dernier a un lien suffisant avec cet État membre et qu'aucune autre instance garantissant le droit à un procès équitable n'est disponible («for de nécessité»).
La proposition introduit enfin une règle de litispendance facultative pour les litiges portant sur le même objet et impliquant les mêmes parties, qui sont pendants devant les tribunaux de l'UE et d'un pays tiers. Une juridiction d'un État membre peut exceptionnellement surseoir à statuer si un tribunal d'un pays tiers a été saisi en premier lieu et s'il est prévu qu'il se prononce dans un délai raisonnable et que la décision puisse être reconnue et exécutée dans cet État membre. Cette modification vise à prévenir les procédures parallèles se déroulant simultanément à l'intérieur et à l'extérieur de l'UE.
3) Effectivité accrue des accords d'élection de for.
La proposition comporte deux modifications à cet égard :
- lorsque les parties ont désigné une ou plusieurs juridictions pour trancher le litige, la proposition laisse en priorité la juridiction désignée se prononcer sur sa compétence, qu'elle ait été saisie en premier ou en second lieu. Toute autre juridiction doit surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction désignée se saisisse ou – si l'accord est nul – se dessaisisse ;
- la proposition introduit en outre une règle harmonisée de conflit de lois en matière de bien-fondé des accords d'élection de for, garantissant ainsi une décision similaire sur cette question quelle que soit la juridiction saisie.
4) Amélioration du lien entre le règlement et l'arbitrage.
La proposition oblige une juridiction saisie d'un litige à surseoir à statuer si sa compétence est contestée en vertu d'une convention d'arbitrage et si un tribunal arbitral a été saisi de l'affaire ou si une action en justice portant sur la convention d'arbitrage a été engagée dans l'État membre du siège de l'arbitrage. Cette modification accroîtra l’effectivité des conventions d'arbitrage en Europe, évitera les procédures judiciaires et arbitrales parallèles, et découragera les manœuvres judiciaires.
5) Meilleure coordination des procédures devant les juridictions des États membres.
La proposition :
- améliore la règle générale de litispendance en fixant un délai dans lequel la juridiction saisie en premier lieu doit statuer sur sa compétence. La modification prévoit en outre un échange d'informations entre les juridictions saisies de la même affaire ;
- facilite la jonction des demandes liées, en supprimant la condition que cette jonction soit possible en droit interne ;
- clarifie les conditions auxquelles les mesures conservatoires et provisoires peuvent circuler dans l'Union.
6) Amélioration de l'accès à la justice pour certains types de litiges.
Une dernière série de modifications améliorent l'application des règles de compétence dans la pratique. Elles comprennent:
- la création d'un lieu de règlement des litiges portant sur des droits réels, au lieu où les biens mobiliers se trouvent;
- la possibilité donnée aux salariés d'intenter des actions contre plusieurs défendeurs dans le domaine du travail. Cette possibilité servira les intérêts des salariés qui souhaitent intenter une action contre leurs coemployeurs établis dans des États membres différents ;
- la possibilité de conclure un accord d'élection de for pour les litiges concernant la location de locaux à usage professionnel, et
- l'obligation d'informer un défendeur comparant sur les conséquences juridiques auxquelles il s'expose s'il ne conteste pas la compétence de la juridiction saisie.
INCIDENCE BUDGÉTAIRE : la proposition n'a aucune incidence budgétaire sur le budget de l’Union européenne.