Résolution sur le rapport 2010 sur les progrès accomplis par la Turquie
Le Parlement européen a adopté une résolution déposée par sa commission des affaires étrangères sur le rapport 2010 sur les progrès accomplis par la Turquie en vue de l’adhésion.
Les députés rappellent tout d’abord que les négociations d'adhésion avec la Turquie ont été ouvertes le 3 octobre 2005, et que cet acte constitue le point de départ d'un processus d'adhésion de longue haleine dont l'issue reste ouverte. Ils constatent la lenteur des progrès réalisés par la Turquie en matière de réformes et rappellent que le gouvernement turc s'est engagé à entreprendre des réformes de grande ampleur en vue de satisfaire aux critères de Copenhague, ainsi que pour favoriser la modernisation du pays.
Préoccupés par les confrontations actuelles entre les partis politiques et le peu d'empressement du gouvernement et de l'opposition à œuvrer pour atteindre un consensus sur des réformes clés, les députés exhorte l'ensemble des acteurs politiques, le gouvernement et l'opposition à œuvrer de concert pour améliorer le pluralisme politique au sein des institutions de l'État et à participer de manière constructive au processus de réforme. Tout en se félicitant de l'adoption d'amendements à la Constitution, le Parlement recommande vivement qu'ils soient dûment mis en application, afin de faire de la Turquie une véritable démocratie pluraliste fondée sur la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ce contexte, les députés réclament des efforts tout particuliers en matière de reconnaissance des droits des minorités.
Respect des critères de Copenhague : la résolution exprime sa préoccupation face à la détérioration de la liberté de la presse, à certains actes de censure et à l'autocensure de plus en plus pratiquée parmi les médias turcs, y compris sur internet. Les députés invitent la Turquie à veiller au respect des principes de la liberté de la presse et à l’indépendance du pouvoir judiciaire afin de protéger et renforcer la liberté de la presse. Les députés estiment qu’une nouvelle loi sur les médias est nécessaire à cet égard et indiquent qu’ils suivent de près les cas de Nedim Şener, d'Ahmet Şık et d'autres journalistes qui sont confrontés à un harcèlement policier ou judiciaire permanent. Les députés observent notamment que certaines émissions sont interrompues pour des raisons de sécurité nationale sans qu'une ordonnance d'un tribunal ou une décision d'un juge ne soit nécessaire. Ils s’indignent également de la pratique consistant à lancer des poursuites pénales à l'encontre de journalistes dévoilant des preuves de violations des droits de l'homme.
Parmi les autres points évoquées par la résolution, les députés relèvent notamment la question des droits des Roms en Turquie qui fait désormais l'objet d'une attention marquée. La résolution recommande notamment que la mise en œuvre du plan logement du gouvernement en faveur des Roms fasse l'objet d'un suivi et d'un examen minutieux.
Sur le plan de la réforme du pouvoir judiciaire, les députés rappellent que l'indépendance et l'impartialité de la justice sont essentielles au bon fonctionnement d'une société démocratique et pluraliste. Ils demandent dès lors la mise en application des modifications de la Constitution adoptées dans ce domaine, conformément aux normes européennes. Dans la foulée, le Parlement souligne que les enquêtes sur les projets supposés de coups d'État (Ergenekon et «masse de forgeron») doivent montrer la solidité et le bon fonctionnement, indépendant et transparent, des institutions démocratiques turques et de la justice. Ils rejettent la durée excessive des périodes de détention provisoire et insiste sur la nécessité de réelles garanties judiciaires pour tous les suspects.
Les députés renouvellent également leur appel en faveur d'une réforme du système électoral ramenant le seuil électoral sous les 10%, et permettant ainsi de renforcer le pluralisme des partis et de mieux refléter la diversité de la société turque. Ils jugent également comme totalement regrettable qu'aucun progrès n'ait été accompli dans la limitation de l'immunité des parlementaires en ce qui concerne les délits de corruption.
Sur le plan religieux, le Parlement soutient le dialogue actuel qu'entretient le gouvernement avec les communautés religieuses, y compris les communautés alévi, grecque, arménienne et araméenne et les autres communautés chrétiennes. Il regrette, en revanche, que seuls des progrès limités aient été accomplis concernant le cadre juridique entourant le fonctionnement de ces communautés, notamment en ce qui concerne leur capacité à obtenir la personnalité juridique, à ouvrir et gérer des lieux de culte, à former leur clergé et à résoudre les problèmes de propriété. D’une manière générale, les députés demandent au gouvernement d'être particulièrement attentif au matériel didactique utilisé dans les écoles, lequel doit refléter le pluralisme religieux de la société turque.
Sur le plan intérieur, les députés condamnent les violences terroristes continues commises par le PKK et par d'autres groupes terroristes sur le sol turc et encouragent la Turquie, l'Union européenne et ses États membres à intensifier leur coopération dans la lutte contre le terrorisme. Dans le même temps, les députés invitent le gouvernement à relancer ses efforts pour aborder la question kurde de manière globale, en garantissant les droits relatifs aux libertés d'expression, d'association et de réunion, en s'occupant des problèmes des personnes déplacées, et en améliorant la situation économique et sociale dans le sud-est du pays.
Tout en se félicitant du renforcement du cadre juridique garantissant les droits des femmes et l'égalité hommes-femmes, les députés demandent au gouvernement, aux entreprises et à la société civile d'adopter des mesures de grande ampleur, visant notamment à lutter contre l'analphabétisme féminin, à soutenir activement l'accès des jeunes filles à l'enseignement secondaire et à créer des infrastructures d'accueil pour les enfants, afin de remédier à la pauvreté des femmes et de renforcer leur intégration dans la société et leur participation au marché du travail. Ils déplorent encore les taux toujours élevés de violence domestique, y compris les crimes dits «d'honneur» et le phénomène des mariages forcés. Plus généralement, le Parlement appelle la Turquie à veiller à ce que l'égalité soit garantie dans le droit turc, y compris pour la communauté gay.
Renforcer la cohésion sociale et la prospérité : tout en se félicitant du fait que l'économie turque ait bien résisté à la crise économique mondiale, les députés soulignent la nécessité d'accroître la participation au marché du travail et le taux d'emploi, qui sont toujours très bas et atteignent à peine 50%. Les députés demandent également des améliorations en matière de dialogue social et de droits syndicaux, le renforcement de la cohésion entre les régions turques ainsi qu'entre les zones rurales et urbaines, le respect des règles environnementales dans le cadre de la mise en œuvre de projets de nouvelles infrastructures de distribution d'eau et d'énergie en Anatolie du sud-est (GAP),…
Développer des relations de bon voisinage : le Parlement invite le gouvernement turc à soutenir activement les négociations en cours sur la question chypriote et à contribuer concrètement à un règlement global. Les deux communautés de Chypre devraient œuvrer activement pour tirer parti des résultats déjà atteints dans les négociations afin d'aboutir à un règlement viable. La Turquie et les autorités chypriotes turques devraient notamment s'abstenir de nouvelles installations de citoyens turcs sur l'île car celles-ci modifieraient encore les équilibres démographiques et amoindriraient le sentiment d'appartenance des citoyens à leur futur État commun fondé sur leur passé commun. En ce qui concerne l’Arménie, les députés demandent aux deux parties de ratifier les protocoles sans conditions préalables et d'ouvrir les frontières. Ils invitent la Turquie à jouer de son poids régional pour consolider les mesures de confiance à cet égard. Parallèlement, le Parlement demande au gouvernement turc de faire cesser les violations continuelles de l'espace aérien grec et les survols des îles grecques par des avions militaires turcs.
UE-Turquie : une fois de plus, les députés déplorent que le protocole additionnel à l'accord d'association CE-Turquie n'ait toujours pas été mis en œuvre par la Turquie, ce qui continue à peser sur le processus de négociation. Ils appellent une nouvelle fois le gouvernement turc à l'appliquer dans son intégralité. Les députés abordent plusieurs questions liées à l’ouverture de certains chapitres de négociations concernant la politique industrielle ou les réseaux transeuropéens. Dans la foulée, ils se félicitent de la finalisation des négociations sur l'accord de réadmission entre l'Union européenne et la Turquie et soulignent l'importance d'intensifier la coopération entre l'Union et la Turquie en matière de gestion des migrations et de contrôles aux frontières.
En ce qui concerne la question de la politique étrangère, les députés demandent qu’un dialogue étroit soit instauré avec la Turquie. Ils accueillent favorablement l'application de la doctrine «zéro problème» à l'égard de ses voisins, annoncée il y a peu par la Turquie, mais insistent sur la nécessité pour la Turquie de préserver son attachement sans ambiguïté aux valeurs et aux intérêts communs de l'Europe. Les députés invitent la vice-présidente de la Commission/haute représentante de l'Union à intensifier le dialogue en cours avec la Turquie sur les questions de politique étrangère d'intérêt commun et encouragent la poursuite des efforts concertés en faveur de la démocratisation et du développement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, vu la source d'inspiration que constitue la Turquie pour de nombreuses personnes du monde arabe en tant que démocratie laïque. Les députés estiment notamment que la Turquie a un rôle important à jouer dans la promotion du dialogue dans le cadre du processus de paix au Proche-Orient et apprécient tout particulièrement l'engagement constructif de la Turquie en Afghanistan et dans les Balkans. Enfin, les députés demandent au gouvernement turc de signer et de soumettre à ratification le statut de la Cour pénale internationale.