Détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services: exécution de la directive 96/71/CE

2012/0061(COD)

OBJECTIF : prévoir un dispositif destiné à améliorer et renforcer la mise en œuvre, l’application et l'exécution dans la pratique de la directive 96/71/CE sur le détachement de travailleurs incluant des mesures prévenant et sanctionnant le contournement ou l’utilisation abusive des règles applicables.

ACTE PROPOSÉ : Directive du Parlement européen et du Conseil.

CONTEXTE : on estime qu’environ un million de travailleurs sont détachés chaque année par leur employeur dans un autre État membre. Le détachement concerne ainsi une faible proportion de la population active (0,4% de la population active des pays d’envoi pour l’UE-15 et 0,7% de la population active des pays d’envoi pour l’UE-12).

Du point de vue de la mobilité de la main-d'œuvre dans l'Union, les détachements représentent toutefois un phénomène important puisqu’en 2007, ils concernaient 18,5% de la population active provenant d’un autre État membre. Ils se concentrent en particulier sur certains secteurs, comme le bâtiment ou les transports et contribue à stimuler les échanges internationaux de services, avec tous les avantages notoires dérivant du marché unique (concurrence accrue, gains d’efficacité, etc.).

Au plan européen, ce type de travailleurs est couvert par la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services. Celle-ci vise spécifiquement à concilier l’exercice de la liberté de fournir des services transfrontaliers conformément à l’article 56 TFUE et la protection appropriée des droits des travailleurs détachés temporairement à l’étranger. Pour ce faire, la directive définit, au niveau de l’Union, les règles impératives qui doivent s’appliquer aux travailleurs détachés dans le pays d’accueil. Elle établit notamment un socle de conditions de travail et d’emploi clairement définies ainsi qu’une garantie de protection minimale pour les travailleurs. La directive offre dès lors un niveau élevé de protection à des travailleurs pouvant être rendus vulnérables en raison de leur situation. Elle joue en outre un rôle majeur en favorisant un climat de concurrence loyale entre tous les prestataires de services.

Mauvaise application de la directive : la Commission a toutefois dressé un bilan de la mise en œuvre et de l’application de la directive dans un rapport adopté en 2003 qui constatait plusieurs insuffisances et des problèmes de mise en œuvre ou d’application de la directive dans certains États membres. En 2006, elle a également adopté un cadre comportant des orientations visant à préciser comment certaines mesures de contrôle nationales pouvaient s’avérer nécessaires, justifiées et proportionnées pour faire appliquer le droit européen en vigueur, tel qu’interprété par la Cour dans sa jurisprudence. En 2007, une seconde communication démontrait les faiblesses dans la coopération administrative et l’accès à l’information liées à l’application de la directive.

Dans ses arrêts 2007 et 2008 de la Cour de justice dans les affaires Viking-Line, Laval, Rüffert et Commission/Luxembourg, la Cour, saisie sur le sujet, reconnaissait les difficultés liées à la mauvaise application de la directive. L’essentiel de la controverse portait sur les conséquences de l’application de la directive pour la protection des droits des travailleurs détachés. La Cour reconnaissait pour la première fois que le droit de mener une action collective, y compris le droit de grève, faisait partie intégrante, en tant que droit fondamental, des principes généraux du droit de l’UE même si ce droit n’avait pas de caractère absolu et que son exercice pouvait faire l’objet de conditions et restrictions, résultant de constitutions, législations et pratiques nationales.

Ces arrêts ont déclenché un vif débat notamment sur la mesure dans laquelle les syndicats pouvaient continuer à protéger les droits des travailleurs dans les situations transfrontières. Ils ont notamment mis en évidence les écarts existant entre le marché unique et la dimension sociale, et ce de deux façons :

  • d’une part, en démontrant la nécessité de veiller au juste équilibre entre la défense des travailleurs dans le cadre d’actions collectives, et la libre prestation des services, une liberté économique consacrée par le traité ;
  • d’autre part, la façon dont il fallait interpréter certaines dispositions essentielles de la directive 96/71/CE, comme la notion d’ordre public, le champ d’application matériel des conditions de travail et d’emploi et la nature des règles impératives, en particulier du salaire minimal.

En octobre 2008, le Parlement européen a adopté une résolution demandant à tous les États membres d’appliquer correctement la directive sur le détachement de travailleurs. La résolution appelait en particulier la Commission à ne pas exclure une révision partielle de la directive après une analyse approfondie des problèmes. Dans le même temps, la résolution soulignait que la libre prestation de services, pierre angulaire du projet européen, devait être mise en balance avec les droits fondamentaux et les objectifs sociaux inscrits dans les traités ainsi qu’avec le droit des partenaires publics et sociaux en vue de garantir la non-discrimination, l’égalité de traitement et l’amélioration des conditions de travail.

C’est la raison pour laquelle, la Commission propose un nouveau cadre destiné à mieux faire appliquer la directive 96/71/CE de sorte à concilier le principe de la liberté de prestation de services dans le marché intérieur avec le respect des modèles sociaux et des systèmes de relations de travail des États membres.

ANALYSE D’IMPACT : conformément aux principes du « mieux légiférer », la Commission a réalisé une analyse d’impact s’appuyant sur une étude externe. Celle-ci comportait plusieurs options analysées à l’aune des objectifs opérationnels suivants :

  • mieux protéger les droits des travailleurs détachés;
  • faciliter la prestation transfrontalière de services et améliorer le climat de concurrence loyale;
  • améliorer la sécurité juridique en ce qui concerne l’équilibre entre droits sociaux et libertés économiques, en particulier dans le contexte du détachement des travailleurs.

L’option privilégiée est une combinaison de différentes mesures. Une combinaison de mesures réglementaires visant à améliorer la mise en œuvre, le suivi et l'exécution des conditions de travail minimales des travailleurs détachés et à lutter contre l’utilisation abusive du statut de travailleur détaché pour se soustraire à la législation ou la contourner ainsi que de mesures non réglementaires destinées à résoudre les problèmes d'interprétation et de clarté des conditions de travail et d’emploi définies par la directive 96/71/CE, a été jugé comme la solution la plus efficace.

L'amélioration et la clarification du cadre réglementaire devraient avoir des retombées positives pour les PME et, plus particulièrement, les micro-entreprises, lesquelles ne seront pas exclues du champ d’application de la directive. Une telle exclusion reviendrait en effet à affaiblir le niveau de protection applicable aux salariés détachés de ce type particulier d’entreprises.

BASE JURIDIQUE : article 53, par. 1, et article 62 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

CONTENU : sans revenir sur la directive 96/71/CE, la présente proposition vise à améliorer la façon dont la directive sera mise en œuvre, appliquée et exécutée dans la pratique en établissant un cadre général commun de dispositions et de mesures à cet effet, ainsi que des mesures destinées à prévenir le contournement ou la violation des règles applicables. Elle prévoit par ailleurs des garanties pour protéger les droits des travailleurs détachés et supprimer les entraves injustifiées à la libre prestation des services.

Á noter que la présente de directive est étroitement liée à la proposition clarifiant l’exercice du droit de mener des actions collectives dans le contexte des libertés économiques du marché unique, en particulier la liberté d’établissement et la libre prestation des services.

Les principales dispositions proposées par la proposition peuvent se résumer comme suit :

Prévention des abus et contournements – clarification de la notion de détachement : la proposition :

  • clarifie la notion de «travailleur détaché» aux sens de la directive 96/71/CE pour éviter que des employeurs ne profitent du manque de clarté des dispositions pour contourner les règles en vigueur ; c’est la raison pour laquelle la proposition contient une liste indicative et non exhaustive de critères qualitatifs et d’éléments constitutifs caractéristiques à la fois de la nature temporaire inhérente à la notion de détachement pour la prestation de services et de l’existence d’un lien réel entre l’employeur et l’État membre qui détache le travailleur ;
  • précise le rôle de l’État membre depuis lequel le détachement est effectué dans le contexte de la coopération administrative.

Conjuguée aux critères permettant d’apprécier la réalité de l’établissement du prestataire de services dans un État membre donné, cette description indicative permettra d’éviter les utilisations «créatives» de la directive 96/71/CE dans des situations qui ne sont pas de véritables détachements au sens de la directive.

Accès à l’information : l’accès préalable à des informations sur les conditions de travail et d’emploi applicables dans le pays d’accueil est une condition préalable pour que les parties intéressées puissent fournir les services demandés conformément aux règles de la directive 96/71/CE et aux dispositions transposant celle-ci dans le droit national. La proposition contient en particulier une série de dispositions nouvelles importantes et détaillées, destinées à assurer que des informations sur les conditions de travail et d’emploi applicables, y compris celles qui font l’objet de conventions collectives, soient facilement et généralement accessibles.

Coopération administrative et assistance mutuelle : la proposition prévoit :

  • les principes généraux, règles et procédures nécessaires pour une coopération administrative et une assistance efficaces ;
  • des précisions sur le rôle de l’État membre depuis lequel le détachement est effectué ;
  • la base juridique nécessaire pour l'utilisation d'une application du système d’information du marché intérieur (IMI) en tant que système électronique d’échange d’informations pour faciliter la coopération administrative en matière de détachement de travailleurs ;
  • des mesures d’accompagnement visant à développer, faciliter, soutenir, promouvoir et améliorer la coopération administrative, ainsi qu’à accroître la confiance mutuelle, y compris par des aides financières.

Contrôle du respect des dispositions applicables : la proposition de directive prévoit des mesures de contrôle nationales dont celles pouvant être appliquées aux ressortissants de pays tiers résidents et légalement employés, détachés dans l’Union par leur employeur, ainsi que le principe d’inspections pour s’assurer du respect et de l’application correcte des dispositions et règles établies par la directive 96/71/CE. Dans ce domaine, il est proposé de renforcer la coopération administrative, et de prévoir des inspections adaptées et efficaces fondées sur une évaluation des risques, afin de réduire les coûts et de se concentrer sur les cas de figure les plus exposés aux risques, contribuant ainsi à alléger les contrôles.

Pour tenir compte de la diversité des systèmes de relations de travail et des systèmes de contrôle des États membres, d’autres intervenants ou instances pourraient exercer la surveillance de certaines conditions de travail et d’emploi des travailleurs détachés, telles que les taux de salaire minimal et le temps de travail.

Une clause de réexamen a également été prévue pour évaluer plus précisément la situation, en particulier pour apprécier l'opportunité et l’adéquation des mesures de contrôle nationales à la lumière des enseignements et de l’efficacité du fonctionnement du système de coopération administrative et des progrès techniques.

Exécution : la proposition de directive prévoit une série de mesures se rapportant à l’exécution et à la défense des droits, qui eux-mêmes participent d’un droit fondamental ancré dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE, à savoir que toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés ou n'ont pas été respectés, a droit à un recours effectif devant un tribunal.

Des dispositions sont prévues pour instaurer :

  • des mécanismes de recours : afin de favoriser l'amélioration de l'exécution et de l'application dans la pratique, des mécanismes efficaces permettant aux travailleurs détachés de porter plainte directement ou par l’intermédiaire de tiers désignés, tels que des organisations syndicales sont prévus. Ces mécanismes seraient applicables sans préjudice de la compétence des tribunaux des États membres telle qu’établie par les instruments applicables du droit de l'Union ou des conventions internationales ;
  • une « responsabilité solidaire » : la protection des droits des travailleurs constitue un sujet de préoccupation particulier dans les chaînes de sous-traitance, particulièrement répandues dans le secteur de la construction dans l'UE. Il est avéré que, dans un certain nombre de cas, des travailleurs détachés sont exploités et privés de tout ou partie du salaire qui leur est dû au titre de la directive 96/71/CE. Il arrive que les travailleurs détachés ne soient pas en mesure de faire valoir leurs droits à cet égard parce que la société qui les a employés a disparu ou n’a jamais eu d’existence réelle. Des mesures appropriées, effectives et dissuasives sont donc indispensables pour garantir que les sous-traitants respectent pleinement leurs obligations légales et contractuelles, notamment en ce qui concerne les droits des travailleurs. De plus, une transparence accrue des procédés de sous-traitance renforcera la protection globale des droits des travailleurs. Sur cette question,  le Parlement européen a fait état de la nécessité de présenter un acte législatif sur la responsabilité solidaire au niveau de l'Union, en particulier pour les longues chaînes de sous-traitance (voir INI/2011/2147). Toutefois, vu la diversité des systèmes juridiques en place dans les États membres et de l’incidence qu’un tel instrument pourrait avoir sur les prestations de services transfrontalières au sein du marché intérieur, une solution équilibrée est proposée en optant pour des dispositions spécifiques sur les obligations et la responsabilité (solidaire) des contractants à l'égard du respect par les sous-traitants des conditions de travail et d’emploi des travailleurs détachés. Cette solution privilégie des mesures préventives laissant aux États membres la latitude d’introduire ou de conserver des  systèmes de responsabilité solidaire ou de responsabilité de la chaîne plus stricts. La responsabilité solidaire est considéré un mécanisme d’autorégulation entre des acteurs privés, bien moins restrictif et plus proportionné que d'autres systèmes envisageables comme l'intervention exclusive de l'État au moyen d'inspections et de sanctions. Á noter également que les dispositions sont limitées au secteur de la construction, conformément à la liste des activités figurant en annexe de la directive 96/71/CE (la proposition se cantonne à la sous-traitance directe dans le secteur de la construction, où la plupart des cas de non-paiement de salaires ont été signalés). Le détachement de travailleurs par des agences d'intérim sera concerné pour autant qu’il porte sur des activités du secteur de la construction. Les États membres pourront, s’ils le souhaitent, étendre ces dispositions à d’autres secteurs.

Exécution transfrontalière d'amendes et de sanctions administratives : compte tenu de la nature transnationale du détachement, la reconnaissance mutuelle des amendes et des sanctions ainsi que leur exécution, notamment dans l’État d’établissement de l’entreprise qui détache temporairement des travailleurs dans un autre État membre, revêtent une importance cruciale. L'absence d'un instrument commun de reconnaissance mutuelle et d'exécution est considérée comme la cause de problèmes majeurs d'exécution dans la pratique. Le problème réside en partie dans le fait que le non-respect des obligations imposées par la directive 96/71/CE n'est pas sanctionné de la même façon selon l'État membre.

Il existe toutefois des instruments européens pour permettre de reconnaitre réciproquement certaines amendes et sanctions imposées : ainsi, la décision-cadre 2005/214/JAI du Conseil concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires prévoit la reconnaissance mutuelle des sanctions financières et facilite leur exécution transfrontalière grâce à un système simple et efficace. La reconnaissance et l’exécution de décisions portant sur des plaintes en matière civile relèvent du règlement Bruxelles I.

Il n’existe cependant pas d’instruments similaires pour les amendes et sanctions administratives qui peuvent être contestées devant des juridictions autres que pénales. C’est pourquoi, la proposition prévoit un système d’exécution transfrontalière des amendes et sanctions de cette nature. Celui-ci s’inspire du système de recouvrement des créances de sécurité sociale établi par le règlement (CE) n° 987/2009, et du système de recouvrement des créances fiscales prévu par la directive 2010/24/UE. Ces dispositions n’ont pas pour objet d’établir des règles harmonisées en matière de coopération judiciaire, de compétence judiciaire ou de reconnaissance et d’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ni de traiter de la loi applicable. D’une manière générale, les actes de l'UE qui régissent ces matières restent applicables.

INCIDENCE BUDGÉTAIRE : la proposition devrait avoir des incidences sur le budget de l’Union de la manière suivante :

  • en ce qui concerne les coûts pour les projets, séminaires, échange de pratiques exemplaires, etc. : ces actions seraient subventionnées à hauteur de 2 millions EUR et les coûts pour le comité d’experts en matière de détachement des travailleurs seraient pris en charge à hauteur de 264.000 EUR/an par le programme PROGRESS (2013) et le programme pour le changement social et l’innovation sociale (2014-2020) ;
  • en ce qui concerne les coûts pour la réalisation d’une étude d’évaluation ex post en 2016 : ces coûts seront couverts à hauteur de 500.000 EUR par le programme pour le changement social et l’innovation ;
  • pour ce qui est des coûts de ressources humaines (232.000 EUR) et d’autres frais administratifs (frais de voyage: 10.000 EUR; conférences bisannuelles des parties prenantes: 360.000 EUR) : ces frais seront couverts au titre de la rubrique 5 du cadre financier pluriannuel.