Allégations de transport et de détention illégale de prisonniers par la CIA dans des pays européens: suivi du rapport de la commission TDIP du Parlement européen

2012/2033(INI)

La commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures a adopté le rapport d’initiative d’Hélène FLAUTRE (Verts/ALE, FR) sur des allégations de transport et de détention illégale de prisonniers par la CIA dans des pays européens (suivi du rapport de la commission TDIP du Parlement européen).

Les députés rappellent que le Parlement européen a condamné le programme de transferts interétatiques et de détention secrète de la CIA mené par les États-Unis, qui a entraîné des violations multiples des droits de l'homme, et notamment des cas de détention illégale et arbitraire, de torture et d'autres mauvais traitements, des violations du principe de non-refoulement et des disparitions forcées.

Ils rappellent qu’une commission temporaire sur l'utilisation alléguée de pays européens par la CIA pour le transport et la détention illégale de prisonniers a été instituée et a documenté l'utilisation de l'espace aérien et du territoire de l'Union européenne par la CIA, et que depuis lors le Parlement a réitéré sa demande d'enquêtes approfondies sur la collaboration de certaines agences et de certains gouvernements nationaux avec le programme de la CIA.

Les députés rappellent en outre qu'à plusieurs reprises, le Parlement a sévèrement condamné les pratiques illégales telles que la "restitution extraordinaire", l'enlèvement, la détention sans jugement, la disparition, les prisons secrètes et la torture, et qu'il a réclamé des enquêtes approfondies sur le degré présumé d'implication de certains États membres dans la collaboration avec les autorités américaines, en particulier la CIA, y compris sur le territoire de l'Union. Ils soulignent dès lors que le présent projet de résolution a pour objet de donner des suites politiques aux travaux de la commission temporaire et d'examiner l'évolution de la situation, en déterminant l'existence éventuelle d'un risque de violation grave des principes et des valeurs sur lesquels l'Union est fondée.

D’une manière générale, les députés rappellent que les stratégies antiterroristes ne peuvent être efficaces que si elles sont conduites dans le strict respect des obligations relatives aux droits de l'homme et notamment du droit à une procédure régulière. Ils réitèrent donc le fait que le respect des droits fondamentaux est une composante essentielle de la réussite des politiques de lutte contre le terrorisme. Ils considèrent en outre que seuls de véritables motifs de sécurité nationale peuvent justifier le secret mais qu’en aucun cas, cela ne devrait prévaloir sur les droits fondamentaux imprescriptibles ou être invoqués pour limiter l'obligation légale des États d'enquêter sur les violations graves des droits de l'homme. Ils soulignent également que les personnes suspectées de terrorisme ne doivent pas faire l'objet de procédures spéciales car toute personne doit être en mesure de bénéficier de garanties prévues par le principe de procès équitable tel que défini à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Une fois de plus, les députés condamnent les pratiques de "restitution extraordinaire", de prisons secrètes et de torture et appellent les États membres à répondre de l'obligation formelle qui leur incombe d'enquêter sur les graves violations des droits de l'homme liées au programme de la CIA. Ils rappellent au passage l'engagement pris par les États membres et l'Union européenne d’enquêter sur l'implication européenne dans le programme de la CIA.

Processus de prise de responsabilités dans les États membres : les députés mettent en avant les obstacles auxquels se sont heurtées les enquêtes parlementaires et judiciaires nationales sur l'implication de certains États membres dans le programme de la CIA. Ils exhortent les États membres qui n'ont pas respecté leur obligation formelle de mener des enquêtes indépendantes à enquêter en tenant compte de tous les nouveaux éléments de preuve mis au jour ainsi que sur l'existence de prisons sécrètes sur leur territoire.

Tant la Roumanie que la Pologne ou encore la Lituanie, qui semblent avoir été le théâtre d’opérations de ce type sur leur territoire, et qui ont pourtant enquêté sur le sujet en concluant à l’absence de preuve sur le sujet, sont appelées poursuivre leur enquête de sorte à respecter leur engagement puisque de nouveaux éléments de preuve (plans de vol Eurocontrol,…) sont apparus depuis lors. D’autres États membres comme la Finlande, le Danemark, le Portugal, l'Italie, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Espagne, l'Irlande, la Grèce et Chypre sont appelés à divulguer toutes les informations nécessaires concernant tous les avions suspects liés à la CIA et à leur territoire.

Plus globalement, les États membres sont appelés, à la lumière de la coopération et de l'échange d'informations accrus entre leurs agences de renseignements et de sécurité, à garantir un contrôle démocratique complet de ces agences au travers d'une surveillance parlementaire interne, exécutive, judiciaire et indépendante adéquate.

Réaction des institutions de l'Union : une fois encore, les députés estiment qu'il est fondamental que l'Union condamne toutes les pratiques abusives en matière de lutte contre le terrorisme, y compris tout acte de ce type commis sur son territoire, afin qu'elle puisse non seulement se montrer à la hauteur de ses valeurs, mais également à les défendre de façon crédible dans ses partenariats extérieurs. Ils rappellent au passage que le Conseil ne s'est jamais officiellement excusé d'avoir violé le principe consacré par les traités relatif à la coopération loyale entre les institutions de l'Union lorsqu'il a essayé d'induire en erreur le Parlement européen en lui fournissant des versions intentionnellement tronquées des procès-verbaux des réunions du COJUR (Groupe de travail du Conseil sur le droit public international) et du COTRA (Groupe de travail "Relations transatlantiques") avec de hauts fonctionnaires américains… une déclaration est donc attendue de la part du Conseil afin qu'il admette une fois pour toute l'implication d'États membres dans le programme de la CIA et les difficultés rencontrées par les États membres dans le cadre des enquêtes.

Le Conseil est également appelé à :

  • apporter tout son soutien aux processus d'établissement de la vérité et de prise de responsabilité dans les États membres en abordant formellement la question lors des réunions du Conseil JAI ;
  • organiser l'audition des agences européennes de sécurité concernées, et notamment d'EUROPOL, d'EUROJUST et du coordinateur de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme ;
  • garantir le respect des droits de l'homme dans l'échange de renseignements et une séparation stricte des rôles entre les services de renseignements et les services répressifs ;
  • ne pas se fonder sur des garanties diplomatiques inapplicables dans les cas d'extradition ou de déportation de personnes suspectées de menacer la sécurité nationale, lorsqu'il existe un risque véritable que les personnes concernées soient soumises à la torture ou à de mauvais traitements.

Les autorités concernées sont quant à elle appelées à :

  • ne pas invoquer le secret d'État en matière de coopération des services de renseignements internationaux pour entraver l'obligation de rendre des comptes et les voies de recours;
  • strictement distinguer les activités des services de renseignements et de sécurité, d'une part, des activités des autorités chargées du maintien de l'ordre, d'autre part.

Prenant acte des initiatives prises par la Commission en réaction aux recommandations du Parlement, les députés demandent à cette dernière de :

  • faciliter l'entraide et la coopération judiciaires entre les autorités chargées des enquêtes, dans le respect des droits de l'homme, ainsi que la coopération entre les avocats impliqués dans l'établissement des responsabilités dans les États membres ;
  • veiller à ce que les informations importantes circulent ;
  • adopter, dans un délai d'un an, un cadre de contrôle et de soutien des processus nationaux en matière de responsabilité, incluant notamment des obligations de compte-rendu imposées aux États membres et des lignes directrices relatives au respect des droits de l'homme dans les enquêtes ;
  • adopter, à la lumière des lacunes institutionnelles révélées dans le cadre du programme de la CIA, des mesures ayant pour but de renforcer la capacité de l'Union à prévenir et à réparer les violations des droits de l'homme au niveau de l'Union, et à consolider le rôle joué par le Parlement;
  • proposer des mesures en vue d'une coopération et d'un échange d'informations permanents entre le Parlement européen et les commissions parlementaires de contrôle des services de renseignements et de sécurité des États membres dans les cas indiquant que des actions communes ont été menées sur le territoire de l'Union par les services de renseignements et de sécurité des États membres;
  • présenter des propositions en vue de développer des mécanismes de contrôle démocratique des activités de renseignement transfrontalières dans le contexte des politiques européennes de lutte contre le terrorisme.

Implications de la lutte contre le terrorisme et effets sur le respect des droits de l’homme : les députés réaffirment que la lutte internationale contre le terrorisme et la coopération internationale bilatérale ou multilatérale dans ce domaine, y compris dans le cadre de l'OTAN ou entre les services de renseignements et de sécurité, ne peuvent être menées que dans le plein respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ils demandent notamment qu'il soit mis un terme à l'ingérence des services spéciaux d'un État étranger dans les affaires intérieures des États membres souverains de l'Union européenne et que la lutte contre le terrorisme soit menée dans le plein respect des droits de l'homme, des libertés fondamentales, de la démocratie et de l'état de droit.

Rappelant l’importance de certains textes internationaux, les députés invitent l'Union à garantir que ses États membres, ainsi que ses associés et ses partenaires (notamment, ceux concernés par l'accord de Cotonou), qui ont accepté d'accueillir d'anciens détenus de Guantánamo leur proposent un soutien complet en ce qui concerne leurs conditions de vie, les actions pour faciliter leur intégration à la société, la possibilité d'un traitement médical, …

Par ailleurs :

  • l'OTAN et les autorités américaines sont appelés à mener leurs propres enquêtes et à coopérer étroitement avec les enquêteurs parlementaires ou judiciaires des États membres ou de l'Union sur ces questions ;
  • les États-Unis, au vu du rôle fondamental du partenariat transatlantique et de leur autorité en la matière, sont appelés à mener des enquêtes approfondies et à veiller à ce que les responsables de toute violation commise répondent de leurs actes, à faire en sorte que le droit national et le droit international en la matière soient totalement appliqués ;
  • le président Obama est appelé à honorer l'engagement qu'il a pris en janvier 2009 de fermer le centre de détention de la baie de Guantánamo, à permettre à toute personne détenue qui ne fera pas l'objet d'une inculpation de retourner dans son pays d'origine ou dans un autre pays sûr dès que possible.

Pour les députés, tout prisonnier qui ne fera pas l'objet d'une inculpation mais qui ne pourrait être rapatrié en raison d'un véritable risque de torture ou de persécution dans son pays d'origine devrait bénéficier de l'opportunité de s'installer aux États-Unis sous protection humanitaire et d'obtenir réparation. Une nouvelle fois, les députés invitent les autorités américaines à supprimer la possibilité de détention illimitée sans accusation ni procès en vertu de la loi NDAA.

Les députés indiquent enfin qu’ils sont résolus à poursuivre la mission qui leur a été confiée par la commission temporaire, d'évaluer dans quelle mesure les recommandations adoptées par le Parlement ont été suivies d'effets. Ils demandent dès lors au Conseil, à la Commission, au Médiateur européen, aux gouvernements et aux parlements des États membres, des pays candidats à l'adhésion et des pays associés, au Conseil de l'Europe, à l'OTAN, aux Nations unies et au gouvernement ainsi qu'aux deux chambres du Congrès des États-Unis de tenir le Parlement informé de toutes les évolutions éventuelles dans les domaines abordés par le présent rapport.