Programme pour le changement: l'avenir de la politique de développement de l'UE

2012/2002(INI)

Le Parlement européen a adopté par 540 voix pour, 36 voix contre et 65 abstentions, une résolution sur le programme pour le changement ou l'avenir de la politique de développement de l'UE, en réponse à une communication de la Commission sur le même thème.

Tout en reconnaissant les aspects innovants du «programme pour le changement»  proposé par la Commission qui privilégie, entre autres, le recours à l’appui budgétaire, à la combinaison de subventions et de prêts, ainsi qu’à la promotion du secteur privé, le Parlement déplore le manque de dialogue politique entre acteurs institutionnels du programme, ce qui est particulièrement dommageable à la cohérence des politiques pour le développement (CPD). La communication ne contient ainsi aucune proposition visant à mettre en œuvre la cohérence des politiques pour le développement dans la pratique et ne prévoit pas de liens entre l'aide au développement et les autres politiques de l'UE, notamment la politique commerciale, la politique agricole et la politique de la pêche de l'Union. Il rappelle la mise en place d’un mécanisme d’homogénéisation combinant les subventions publiques et les emprunts aux institutions financières ainsi que d’autres mécanismes de partage des risques. Il demande cependant à la Commission de fournir des informations claires sur la manière dont ce mécanisme poursuit l’objectif d’une politique de développement fondée sur les critères de l’APD (aide publique au développement) et sur celle dont le pouvoir de contrôle revient au Parlement européen. Il rejette au passage toute tentative d’étendre la définition de l’APD afin d’inclure les approches «de toute l’Union» et «APD+» récemment proposées par la Commission, ainsi que les aspects non relatifs à l’aide, tels que les flux financiers, les dépenses militaires, l’annulation de la dette, en particulier l’annulation des dettes de crédit à l’exportation, ainsi que les fonds dépensés en Europe pour les étudiants et les réfugiés.

Redistribution de l’aide : rappelant l’engagement de l’UE à se conformer à son objectif de consacrer 0,7% de son PIB au développement d’ici 2015 et le caractère indispensable de la lutte contre la pauvreté dans les pays émergents, le Parlement constate l'intention de la Commission de promouvoir une croissance inclusive et durable au service du développement humain. Il regrette toutefois que le document ne fasse pas mention de la nécessité de promouvoir une meilleure redistribution de l’aide. Il souligne notamment que, dans une perspective de développement, ce nouvel instrument ne devrait avoir d'autres objectifs que la réduction de la pauvreté et la lutte contre les inégalités. Il met en évidence le fait qu’une attention exclusive pour la croissance économique et un excès de confiance dans les effets de redistribution automatique du développement du secteur privé risquent de mener à une croissance déséquilibrée et non inclusive. Le Parlement demande au contraire à l’Union de réexaminer sa stratégie en faveur des politiques de développement durable, notamment le commerce équitable, la redistribution des richesses et la justice sociale, afin d’améliorer les conditions de vie et de travail de l’ensemble de la population, tant dans les zones urbaines que dans les zones rurales.

Pays à revenu intermédiaires : le Parlement constate que la Commission a placé la pauvreté au cœur de sa nouvelle politique de «différenciation» mais que 70% des personnes dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté vivent dans des pays à revenu intermédiaire, dont bon nombre restent fragiles et vulnérables, notamment les petits États insulaires en développement. Il regrette, par conséquent, que les pauvres, dans ces pays, restent privés d’accès à l’éducation, à la santé et à d'autres fruits de la croissance économique interne et invite la Commission à fixer des critères de vulnérabilité dans les orientations de programmation communes du nouvel instrument de financement de la coopération au développement et du 11ème Fonds européen de développement (FED) actuellement examiné.

Le Parlement juge également indispensable de voir les pays à revenu intermédiaire consacrer une partie de plus en plus importante de leur revenu à des fins sociales, permettant, de ce fait, à l’Union européenne de réduire graduellement ses programmes de développement encore en cours, au bénéfice des pays les plus pauvres, tout en maintenant un partenariat étroit avec les pays à revenu intermédiaire, en particulier dans les domaines sociaux. Dans ce contexte, il réaffirme son engagement en faveur de l’inclusion sociale et appuie l’objectif d’allouer au moins 20% de l’aide de l’Union dans son ensemble aux services sociaux de base, tels que définis par les Nations unies dans les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).

Programme pour le changement : d’une manière générale, le Parlement estime que le programme pour le changement doit mener à un véritable changement politique, en se concentrant sur le respect des droits individuels et collectifs de la population dans les pays en développement. Il soutient la vision de la Commission dans son intention de concentrer les activités menées par l’UE dans chaque pays partenaire sur un nombre restreint de secteurs prioritaires, mais rappelle que ces priorités devraient respecter le principe d’«ownership» et les priorités du partenaire.

Dans ce contexte, il appelle la Commission à envisager les points suivants dans le cadre de la mise en œuvre de son programme :

  • adopter l’intégration de la dimension de la famille en tant que principe directeur universel pour la réalisation des objectifs de l’Union en matière de développement;
  • favoriser une approche stratégique fondée sur les droits, qui respecte les droits individuels et collectifs de la population dans les pays en développement ;
  • assurer que les régimes de droit foncier soient efficacement mis en œuvre dans les pays en développement et soient dûment contrôlés ;
  • mettre en œuvre l’article 32 de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (UNCRPD), sachant que 82% des personnes handicapées dans les pays en développement vivent sous le seuil de pauvreté ;
  • garantir une stratégie plus claire et plus ciblée en matière de nutrition, qui aborde la gouvernance de la sécurité alimentaire et qui réduise la volatilité des prix alimentaires d’ici fin 2012 ;
  • modifier la structure de l’aide pour le commerce et les instruments de facilitation des échanges de l’Union, qui ne ciblent actuellement que les secteurs d’exportation, afin de faciliter les échanges pour les marchés locaux et régionaux ;
  • préciser le rôle de la société civile et des autorités régionales et locales comme acteurs importants et indépendants, non seulement au service de l’exécution de programmes ou projets de développement, mais aussi en tant qu’acteurs de base dans le processus d’élaboration de politiques de développement ;
  • inclure les obligations et devoirs des investisseurs étrangers qui opèrent dans les pays en développement en faveur du respect des droits de l’homme, des normes environnementales et des principales normes de travail de l’OIT et faire en sorte que les sociétés européennes soient juridiquement responsables dans leur pays d’origine du manquement à ces obligations et devoirs de la part de leurs filiales à l’étranger et des entités qu’elles contrôlent.

Le Parlement appelle en outre tant la Commission, que le SEAE ou l’Union européenne, chacun à son niveau à :

  • négocier une feuille de route pour la réduction progressive de l'aide publique au développement dans le cas des pays à revenu intermédiaire en les associant progressivement aux accords de coopération triangulaires nord-sud-sud;
  • faire en sorte que cette réduction progressive soit effectuée en ayant toujours à l’esprit le principe de prévisibilité de l’aide;
  • tenir l’engagement d’adopter une «approche fondée sur les droits de l’homme» dans l’ensemble du processus de coopération au développement et consentir des efforts supplémentaires afin d’intégrer plus efficacement les droits de l’homme et la démocratie dans l’ensemble de la coopération au développement ;
  • faire en sorte que le soutien budgétaire soit davantage lié à la situation des droits de l’homme et de la gouvernance des pays bénéficiaires;
  • clarifier le lien de causalité entre développement et migration ;
  • accorder une attention particulière aux droits des minorités et inclure des clauses non négociables relatives aux droits de l’homme et à la non-discrimination dans les programmes de développement ;
  • faire en sorte que si des sources innovantes de financement du développement sont initiées, elles viennent compléter les sources existantes, selon une approche en faveur des pauvres ;
  • reconnaître le droit des pays en développement de réglementer les investissements, favoriser les investisseurs qui soutiennent la stratégie de développement du pays partenaire et accorder un traitement préférentiel aux investisseurs nationaux et régionaux, afin d’encourager l’intégration régionale.

Sur la question des droits de l’homme, le Parlement estime que dans les communications de la Commission, la question des droits de l’homme apparaît essentiellement en tant qu’élément faisant partie d’une conditionnalité de bonne gouvernance plus large, alors qu’il doit plutôt s’agir d’une compréhension intégrée des droits de l’homme au travers de laquelle les droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux reçoivent une attention tout aussi importante. En ce sens, le développement est compris en premier lieu dans le sens du développement humain.

Le Parlement encourage par ailleurs le Conseil à donner suite à la proposition de la Commission visant à instaurer une taxe sur les transactions financières efficace et conçue pour générer des revenus afin de respecter les priorités du développement inclusif et global.

Rappelant les objectifs du Consensus européen pour le développement, le Parlement rappelle l’impératif d’une démarche cohérente des 28 acteurs d’ores et déjà réunis par le Consensus et insiste sur une lecture commune de la situation et une perception commune des enjeux stratégiques. Il appelle à la création d’une cellule de réflexion indépendante, rattachée administrativement à la Commission, dont l’objectif consisterait à développer la capacité d’analyse et de conseil pour tous les acteurs européens de la coopération, afin d’assurer la valeur ajoutée d’une politique bien coordonnée et cohérente.

Le Parlement met également en évidence la nécessité : i) de tenir mieux compte de la dimension de genres dans les questions de développement ; ii) de renforcer la durabilité et la soutenabilité des investissements dans le développement ; iii) de prendre en considération des thématiques telles que celles du changement climatique et de l’accès universel à l’énergie ; iv) d’évoquer la question de l’acquisition ou de la location de terres agricoles par des investisseurs étrangers alors que cette stratégie met en danger l’autosuffisance alimentaire et engendre un réel danger de malnutrition pour les populations locales.