Stratégie de l'Union européenne pour la Corne de l'Afrique

2012/2026(INI)

Le Parlement européen a adopté par 570 voix pour, 56 voix contre et 58 abstentions, une résolution sur la stratégie de l'Union européenne pour la Corne de l'Afrique.

Le Parlement rappelle que le problème de la Corne de l'Afrique est d’abord dû à une très grande pauvreté liée à une insécurité alimentaire endémique et à une insécurité récurrente liée à l’absence de gouvernance, les deux problèmes étant intimement liés. Il rappelle également qu’outre le long passé de conflits de cette région, se greffent aujourd’hui des problèmes de terrorisme aggravant encore le sous-développement de cette région du monde. Pour le Parlement, le règlement de la question sécuritaire dans la Corne de l'Afrique a un triple intérêt pour l'Europe et pour le reste du monde: i) la menace que représente le terrorisme international et les fonds que des organisations terroristes tirent des activités de piraterie et des enlèvements; ii) la menace économique pesant sur les échanges internationaux et la nécessité de faciliter un transit sûr des navires de transport; iii) la nécessité d'aider les Nations unies à atteindre ses objectifs, en protégeant les navires du programme alimentaire mondial dans la région.

Dans ce contexte, la stratégie de l'Union européenne pour la Corne de l'Afrique est favorablement accueillie par le Parlement qui indique que cette dernière devrait être articulée en 5 volets :

  • la création de structures politiques démocratiques, robustes et responsables dans tous les pays de la Corne de l'Afrique;
  • la coopération avec les pays de la région et les organisations régionales et internationales en vue de résoudre les conflits ;
  • la non propagation de l'insécurité qui règne dans la région dans d'autres États voisins ;
  • le renforcement de la croissance économique et la réduction de la pauvreté ;
  • le soutien à la coopération politique et économique régionale.

Saluant la nomination d'un représentant spécial de l'Union européenne (RSUE) pour la Corne de l'Afrique, le Parlement appelle l’UE à soutenir activement le travail du RSUE en lui accordant des moyens financiers et humains adéquats.

Plusieurs instances internationales et/ou institutionnelles sont appelées à se mobiliser pour aider les pays de la région, en même temps que l’UE, à la fois pour renforcer le développement de ces pays leur gouvernance mais aussi l'exploitation de leurs ressources naturelles essentielles comme l'eau. Le Parlement évoque en particulier l'IGAD (l'Autorité intergouvernementale pour le développement) et l'AMISOM (la mission de l'Union africaine en Somalie) qui œuvre pour lutter contre Al-Chabab (milice islamiste).

Transitions démocratiques : le Parlement invite les institutions de l'Union à rester vigilantes et actives face à la transition politique lancée en Somalie ainsi qu’en Éthiopie et au Kenya. Des mesures d'observation électorale (MOE) sont ainsi réclamées pour surveiller le prochain scrutin kenyan. S’il se réjouit de l’accord intervenu entre le Soudan et le Soudan du Sud concernant les ressources pétrolières, le Parlement espère que ce dernier réglera également le problème de l'acheminement du pétrole du Soudan du Sud.

D’une manière générale, le Parlement juge opportun de saisir l'occasion que représentent ces diverses transitions démocratiques, pour:

  1. promouvoir le respect des normes constitutionnelles, de l'état de droit, des droits de l'homme ainsi que le dialogue dans la Corne de l'Afrique;
  2. poursuivre le travail de développement institutionnel et de démocratisation;
  3. surveiller le suivi des recommandations émises par les MOE;
  4. renforcer le dialogue politique au niveau des pays et des régions et continuer de soulever les questions d’exécutions extrajudiciaires, de détentions arbitraires et de lutte contre l'impunité;
  5. soutenir une société civile indépendante capable d'établir des stratégies sociales.

Piraterie et cadre de la politique de sécurité : le Parlement déplore les trop nombreux actes de piraterie qui sont commis dans la région et l’impunité dont jouissent ces malfaiteurs dont la plupart n'ont toujours pas été arrêtés ou jugés. Il accueille très favorablement le rapport des Nations unies du 25 janvier 2011 en mettant en lumière les propositions formulées par Jack Lang, conseiller spécial du Secrétaire général des Nations unies sur les questions juridiques liées à la piraterie au large de la Somalie. Il appelle la Haute représentante et le RSUE à agir à partir de ces propositions.

Il demande également que i) l’on suive les mouvements financiers des rançons versées et que l’on confisque ces sommes si elles sont virées sur des comptes bancaires européens ; ii) l’on facilite le développement de la coopération entre l'opération Atalanta (mission militaire et diplomatique mise en œuvre par l'Union européenne, dans le cadre de la force navale européenne – EUNAVFOR) d'une part, et EUROPOL et Interpol, d'autre part ; iii) l’on renforce la collaboration des pays de la région avec la Cour pénale internationale ; iv) l’on définisse avec l'Organisation maritime internationale (OMI) des normes claires, cohérentes et applicables, sur le recours à des forces de sécurité armées privées à bord des navires.

Le Parlement salue tout particulièrement la décision du Conseil du 23 mars 2012 qui prolonge l'opération Atalanta jusqu'en décembre 2014 et élargit sa portée aux pirates à terre. Il invite les États membres à s'assurer que l'opération Atalanta pourra compter sur une flotte appropriée de navires de surveillance et de patrouille des États membres, afin que les progrès actuels dans la lutte contre la piraterie soient maintenus.

D’une manière générale, le Parlement appelle à un renforcement de la coopération entre l'opération Atalanta et les autres missions internationales actives dans la région, notamment la mission terrestre de l'AMISOM, et l'opération Ocean Shield de l'OTAN en vue d’une stratégie réellement globale de lutte contre la piraterie dans la Corne de l'Afrique. D’autres missions internationales sont évoquées à propos desquelles le Parlement réclame une mise en œuvre cohérente avec les missions menées au niveau européen, y compris avec celles menées par les États-Unis.

Renforcer une approche d'ensemble : globalement, le Parlement appelle à la mise en place d’une approche d’ensemble pour la Corne de l'Afrique, couvrant non seulement la politique humanitaire et de sécurité, mais aussi la politique de développement à plus long terme. Il demande également la coordination des politiques initiées tant au niveau de l’Union que des États membres, notamment via la mise en place d’une programmation conjointe pour les pays de la région. Le Parlement estime en effet que la stabilité et la sécurité dans la Corne de l'Afrique auraient une incidence positive en matière de politique et de sécurité au-delà de la région, et également en termes d'investissements et de sécurisation des transports maritimes dans l'Océan Indien. Il demande dès lors une réflexion d’ensemble, au niveau du G-20, sur les stratégies à mener dans la région.

Vu le haut potentiel de la Corne de l'Afrique, notamment en matière d'agriculture et d'extraction de minerais, le Parlement appelle le Conseil, la Commission, le service européen pour l'action extérieure (SEAE) et la Banque européenne d'investissement, en coordination avec les autres donateurs multilatéraux, à identifier des projets présentant un intérêt commun pour les pays de la région et susceptibles de promouvoir la coopération et une interdépendance positive, par exemple dans le domaine de l'approvisionnement énergétique et dans le domaine des ressources naturelles.

Le Parlement appelle également la Commission à effectuer une analyse approfondie de l'ampleur et des retombées économiques, environnementales et sociales des pratiques de location de terres à des pays tiers dans la Corne de l'Afrique et à proposer des stratégies et des mécanismes de sauvegarde, non sans s’inquiéter des conséquences alimentaires locales de l'accaparement des terres par des pays tiers. Par ailleurs, le Parlement souligne qu'outre les sécheresses répétées qui minent le développement alimentaire de la région (y compris au Sahel), l’extension de l'exportation de produits agroalimentaires au détriment de la souveraineté alimentaire locale aggrave la situation.

Parallèlement, le Parlement souligne que le renforcement de la sécurité régionale et la lutte contre le terrorisme et la piraterie, pour indispensables qu'ils soient, ne doivent pas éclipser la nécessité absolue de soutenir en premier lieu l'éradication de la pauvreté dans la région, et ce d'autant moins que l'UE se doit, selon son traité fondateur même, de tenir compte des objectifs de la coopération au développement. Il observe que tous les pays de la Corne de l'Afrique sont des pays en développement, et qu'ils ont – à l'exception du Soudan et du Soudan du Sud, qui n'ont pas signé l'accord de Cotonou – reçu 2 milliards EUR d'aide au développement (dont 644 millions pour la seule Éthiopie) pour les programmes indicatifs nationaux et régionaux au titre du 10ème FED. Rappelant que l’UE est toujours le principal distributeur d'aide au développement et d'aide humanitaire dans la région, celle-ci, aidée en cela par la centralisation de ses efforts diplomatiques autour du SEAE et du RSUE, par les succès de l'opération Atalanta et par la présence diplomatique et militaire de certains États membres dans la région, pourrait faire davantage pour éradiquer la pauvreté endémique et lutter contre les poches d'anarchie.

Plusieurs initiatives sont ainsi envisagées dans ce contexte pour :

  • soutenir l'agriculture, le pastoralisme et l'élevage dans cette région ;
  • appuyer tout programme d'accès à l'eau potable ;
  • lutter contre la sécheresse et renforcer les récoltes.

Le Parlement insiste sur le fait que, dans la mesure du possible, l'assistance apportée par l'Union dans la Corne de l'Afrique ne devrait pas prendre la forme d'un soutien budgétaire direct, mais qu'elle devrait être accordée en vue d'atteindre des objectifs spécifiques sur la base d'indicateurs de performances. Si l’UE octroie un soutien budgétaire, ce soutien devrait être subordonné à la réalisation d'objectifs spécifiques. Il estime en outre que les programmes visant à soutenir la stratégie de l'Union européenne pour la Corne de l'Afrique devraient pouvoir bénéficier d'une combinaison de ressources, alliant donations internationales et européennes sur la base de normes communes claires. L'UE devrait en outre avoir la possibilité de participer au financement de programmes de parties tierces dans la région pour autant que le respect des règles applicables à l'aide financière européenne en faveur des pays tiers, soit garanti.

Le Parlement demande également que l’aide humanitaire fournie aux populations soit neutre, impartiale et indépendante.

Une fois encore, le Parlement insiste sur le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales comme fondement de l'engagement de l'Union avec ses partenaires des pays tiers. Il s’inquiète dès lors des allégations d'arrestations arbitraires, de mauvais traitements de prisonniers et de violences à l'encontre de manifestants ainsi que de mesures répressives contre l'opposition politique dans la région, parmi lesquelles la censure et la détention de journalistes et de militants. De même, il appelle au renforcement des droits des femmes, des enfants, des personnes LGBT et des minorités religieuses. Il observe que l'islamisme sectaire s'est répandu dans certaines parties de la Corne de l'Afrique et menace les libertés des minorités. Il insiste encore sur l'importance du soutien européen en faveur de la société civile.

Enfin, le Parlement insiste point par point sur les efforts à accomplir ponctuellement dans chacun des pays de la zone en insistant sur la cohérence des actions menées tant sur le plan international et sur la visibilité de l’action de l’UE dans ce contexte.

  • Soudan et Soudan du Sud :  le Parlement réclame : i) des mesures pour renforcer le cadre national et international en matière de droits de l'homme dans ces deux pays, ii) l’application effective du moratoire sur les exécutions dans la perspective de l'abolition de la peine de mort ; iii) la fin des abus commis par les forces armées dans le cadre du processus de démilitarisation ; iv) la mise en place d’une approche commune pour assurer la protection des civils au Darfour, au Kordofan-du-Sud et au Nil-Bleu; v) l’arrêt de toute forme de soutien à tout groupe armé qui ne serait par l’armée régulière dans ces pays ;
  • Somalie : se réjouissant de la transition en Somalie, le Parlement appelle les acteurs politiques de ce pays à garantir la formation d'institutions de gouvernance inclusives reposant sur des bases larges, de stabilisation, de respect de l'état de droit et de bonne gouvernance, de redressement économique, de renforcement de la paix et de réconciliation. Il demande également à la Haute représentante et au RSUE pour la Corne de l'Afrique, de procéder à un examen critique du processus de paix de Djibouti et d'envisager le déploiement d'une équipe de médiateurs. Il demande également la mise en place d'une force de police responsable, transparente et intégrée afin de permettre au nouveau gouvernement de bénéficier de la confiance de la population et de structures économiques solides. Il appelle en outre à la mise en place d’une exploitation efficace du pétrole et du gaz dans cette région. D’autres actions sont réclamées pour apporter un soutien aux autorités légitimes et démocratiques de ce pays en prenant l’exemple favorable du Somaliland, afin de créer un État fédéral somalien durable, stable et prospère;
  • Éthiopie et Érythrée : en ce qui concerne enfin ces deux pays aux transitions démocratiques fragiles, le Parlement appelle à plus de dialogue, y compris entre ces deux pays afin d'aborder les questions frontalières de manière efficiente. Il insiste sur le rôle essentiel joué par l'Éthiopie pour la stabilité politique et économique de toute la région. Il relève que le nouveau Premier ministre éthiopien, Hailemariam Desalegn, a souligné l'importance de renforcer les droits de l'homme et les institutions démocratiques dans le pays et estime que la formation du nouveau gouvernement éthiopien est l'occasion de lancer un dialogue avec l'Éthiopie sur toutes ces questions. Il souligne en outre que toute aide de l'Union devrait poursuivre un engagement, notamment de la part des autorités érythréennes, à faciliter une transition démocratique et à créer les conditions d'une amélioration de la situation des droits de l'homme dans le pays. Dans ce contexte, le Parlement demande la libération immédiate de tous les prisonniers politiques et des journalistes détenus dans ces pays.

Á noter qu'une proposition de résolution de remplacement présentée par le groupe GUE/NGL a été rejetée en Plénière.