Criminalité organisée, corruption et blanchiment d'argent

2012/2117(INI)

Le Parlement européen a adopté une résolution sur la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment des capitaux (rapport à mi-parcours des travaux de la commission spéciale du Parlement européen sur la thématique de la criminalité organisée, de la corruption et du blanchiment des capitaux) et a proposé une série de recommandations sur des actions et des initiatives à entreprendre.

Le Parlement se prononce pour un cadre législatif homogène et cohérent en matière de lutte contre la criminalité organisée, la lutte contre la corruption et le blanchiment des capitaux. Il estime en effet qu’il est nécessaire d'apporter une réponse politique appropriée à la présence des organisations criminelles et des mafias au niveau européen, grâce à un plan d'action précis et adapté à la situation actuelle incluant des mesures législatives et non législatives.

Pour vaincre la criminalité organisée et mafieuse et éradiquer des phénomènes comme la corruption et le blanchiment d'argent, il est nécessaire de consentir, outre l'effort de type réactif, un grand effort de prévention. Le Parlement se prononce dès lors pour une vaste batterie de mesures détaillées qui peuvent se résumer comme suit :

1)      des mesures législatives au niveau européen : le Parlement demande à la Commission de proposer des normes juridiques communes et des modèles d'intégration et de coopération entre les États membres. Il appelle la Commission à présenter, sur la base d'un rapport d'évaluation relatif à la mise en œuvre de la décision-cadre sur la criminalité organisée et au vu des législations nationales les plus avancées, une proposition législative contenant une définition commune de la criminalité organisée qui couvrirait, entre autres, le délit d'association de type mafieux en mettant l'accent sur l'orientation entrepreneuriale des organisations criminelles. La Commission est également appelée à élaborer : i) une définition commune de la corruption ; ii) intégrer dans sa proposition d'harmonisation du droit pénal en matière de blanchiment (2013), une définition commune du délit d'auto-blanchiment ; iii) une proposition visant à développer l'article 18 de la directive sur la traite des êtres humains afin d'inciter les États membres à criminaliser l'utilisation de services de victimes de toutes les formes d'exploitation liées à la traite des êtres humains ; iv) une liste européenne d'organisations criminelles à l'instar de la liste européenne des organisations terroristes; v) un réseau européen unissant les différents instituts universitaires qui traitent de la criminalité organisée, de la corruption et du blanchiment d'argent afin de promouvoir les études universitaires dans ces domaines; vi) développer dans toute l'Union européenne un système de suivi fiable qui permette de surveiller plus efficacement les mouvements des trafiquants et des victimes de la traite ; vii) renforcer la dimension extérieure des mesures, y compris les accords bilatéraux, en vue de lutter contre la traite des êtres humains, par des actions de prévention dans les pays d'origine et de transit ; viii) compléter la mise en place du service européen d'assistance téléphonique pour les victimes de la traite des êtres humains ; ix) renforcer les sanctions contre les établissements bancaires et financiers qui se rendent complices de recel et/ou de blanchiment des revenus des activités de la criminalité organisée ;

2)      des mesures visant à lutter contre la criminalité en «col blanc» : des mesures sont réclamées pour renforcer le cadre actuel en matière de confiscation des avoirs du crime et affecter ces recettes à des fins sociales. Entre autres choses, le Parlement demande qu'un acteur économique soit exclu durant une période minimale de 5 ans de la participation à un quelconque marché public dans l'ensemble de l'Union européenne s'il a été condamné d'une manière définitive pour participation à une organisation criminelle, à des activités de blanchiment d'argent ou de financement du terrorisme, de participation à des activités de traite d'êtres humains ou de travail forcé d'enfants ("eurocrimes"). Il réclame en outre la mise en place d’urgence d’un plan d'action en vue de l'instauration d'un cadre législatif de la justice pénale et l'application d'instruments opérationnels pour lutter contre la cybercriminalité. Côté victimes, le Parlement demande invite le renforcement des moyens alloués aux ONG spécialisées, aux médias et aux chercheurs afin d'augmenter l'aide et l'assistance aux victimes et leur protection ainsi qu’à favoriser la formation des agences de l'Union chargées de lutter contre la traite des êtres humains ;

3)      des mesures pour renforcer la coopération judiciaire et policière à l'échelle européenne et internationale : le Parlement appelle les autorités compétentes des États membres à définir une feuille de route en faveur d'une coopération judiciaire et policière renforcée, en créant un organisme d'enquête criminelle et un service de renseignement interne compétents pour enquêter sur les infractions et les délits commis au sein de l'Union. Sur le plan international, le Parlement appelle à l'introduction, dans les accords d'association et les accords commerciaux avec des pays tiers, des clauses spécifiques de coopération pour la lutte contre les trafics illicites imputables à la criminalité organisée et le blanchiment d'argent. D’autres mesures sont jugées indispensables comme notamment la pleine exploitation du Réseau judiciaire européen et d’Eurojust, afin de parvenir à un degré très poussé de coopération judiciaire intra-européenne. Le Parlement appelle également les États membres et la Commission à poursuivre les efforts communs afin de conclure les négociations sur le projet de directive concernant la décision d'instruction européenne en matière pénale, qui simplifie la collecte transfrontalière des preuves ;

4)      des mesures anticorruption : le Parlement est convaincu qu'il est impossible d'instaurer une union économique et budgétaire efficace en l'absence d'une union de lutte contre la corruption. La Plénière souligne à cet égard que la transparence est l'ennemi naturel de la corruption. En conséquence, les détenteurs de hautes fonctions ou de grandes fortunes devraient être tenus d'être absolument transparents dans leurs activités. Parallèlement, le Parlement demande : i) la mise en place de mécanismes plus efficaces pour accroître la transparence et lutter contre la bureaucratisation (formalités administratives) dans l'administration publique et les organismes publics, ii) l'inscription dans un code de conduite du phénomène du "pantouflage" et des autres formes de conflits d’intérêts. Il demande surtout que la Commission présente une proposition relative au droit de l'Union européenne dans le domaine des procédures administratives, conformément aux recommandations du Parlement européen. La Plénière a toutefois repoussé l’idée de pouvoir mener des enquêtes sous couverture, dans le respect du principe de l'état de droit, pour démasquer les phénomènes de corruption dans l'administration publique.

Parallèlement, le Parlement en appelle à plus de responsabilité de la part des partis politiques notamment au moment du choix des candidats. Ainsi, les personnes qui ont été condamnées de façon définitive pour des délits relevant de la criminalité organisée, du blanchiment d'argent, de la corruption devraient être inéligibles à un mandat au Parlement européen ou à une fonction dans les autres institutions et agences de l'Union et même au niveau national, un prévoyant un principe similaire dans les États membres. Le Parlement recommande également que s'applique la déchéance des fonctions politiques (membre du gouvernement et fonctions similaires) et des postes de direction et d'administration à la suite d'une condamnation pour une infraction relevant de la criminalité organisée, de la corruption ou du blanchiment de capitaux. Il évoque en outre d’autres mesures pour sanctionner la pratique de l'achat de voix et la nécessité de faire publier tous les intérêts financiers des députés au Parlement.

Le Parlement demande par ailleurs des mesures ciblées pour :

  • rendre la justice pénale plus crédible : il recommande notamment la présentation par la Commission d’une proposition législative visant à poser la responsabilité des personnes morales dans les affaires de criminalité financière et, plus particulièrement, la responsabilité des holdings et des sociétés mères à l'égard de leurs filiales. Il réclame en outre des mesures visant à empêcher les chefs des organisations criminelles incarcérés de continuer à diriger leur organisation ainsi que des peines efficaces et harmonisées pour toutes les infractions graves qui portent atteinte à la santé et à la sécurité des citoyens ;
  • rendre les entreprises plus saines : il demande : i) aux entreprises de pratiquer l'autoréglementation et la transparence au moyen de codes de conduite et de procédures de contrôle (audits internes ou externes) ; ii) de favoriser la publication des listes des entreprises accréditées auprès des pouvoirs publics ainsi que des listes des entreprises qui doivent en être exclues ; iii) un plan d'action de la Commission pour renforcer la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales ; iv) des mesures en matière de passations des marchés ;
  • rendre le système bancaire plus transparent : le Parlement invite la Commission et les autres autorités de contrôle à veiller à l'application de mesures de vigilance à l'égard de la clientèle et de profils de risque afférents par les banques, les compagnies d'assurance et les établissements de crédit ainsi qu’une évaluation des risques liés aux nouveaux produits bancaires et financiers lorsqu'ils permettent l'anonymat et la possibilité d'effectuer des opérations à distance. Il réclame en particulier une définition commune des paradis fiscaux et surtout l'abolition du secret bancaire ;
  • rendre les nouvelles technologies plus efficaces au service de la lutte contre le crime : le Parlement demande la mobilisation des nouvelles technologies au service des autorités judiciaires comme par exemple l'observation par satellite du transit des marchandises présumées illégales. Il propose également que soit engagée une action visant à favoriser l'utilisation des moyens de paiement électroniques pour assurer la traçabilité des opérations financières.

Pour ne pas que le crime «paie», le Parlement se prononce pour des mesures fortes et décisives sur le blanchiment d’argent. Á cet effet, il demande la mobilisation de toutes les cellules de renseignement financier, la traçabilité des flux de capitaux, un cadre législatif et des mesures appropriées contre le blanchiment d'argent liés aux paris en ligne (notamment dans le monde sportif) ainsi qu’une définition harmonisée des matchs truqués avec des sanctions dissuasives à l’appui.

Il demande parallèlement des garanties suffisantes permettant aux organes de répression de rassembler toutes les données à caractère personnels nécessaires à la conduite d'une enquête sur une activité criminelle organisée et de communiquer des données sur des détenus et des suspects à l'échelle transfrontalière. Il propose également que les États membres s'accordent sur les jugements et les peines ainsi qu'à l'égard de leurs systèmes carcéraux et de la formation du personnel carcéral.

D’autres mesures sont réclamées en matière fiscale au travers d'initiatives communes à l’égard des paradis fiscaux. Une fois encore, le Parlement réclame l'adoption d'un accord sur l'échange d'informations fiscales à l'échelle internationale qui soit multilatéral, contraignant et automatique, couvrant également les trusts et les fondations. De même, il invite la Commission à procéder à une évaluation des conventions fiscales actuellement en vigueur entre les États membres et les pays tiers dont certains pourraient être considérés comme des paradis fiscaux.

La Plénière n’a toutefois pas retenu la position de sa commission spéciale réclamant une action visant à favoriser l'utilisation des moyens de paiement électroniques pour assurer la traçabilité des opérations, notamment financières, et établir leur lien avec des comptes bancaires appartenant à des personnes physiques ou des personnes morales.

Recommandations finales : le Parlement fait enfin une série de recommandations finales dont les points principaux peuvent se résumer comme suit :

  • la création d'un Parquet européen, conformément à l'article 86 du traité FUE, aux fins de combattre les infractions affectant les intérêts financiers de l'Union européenne et les infractions graves de nature transfrontalière, doté de moyens suffisants d'instigation et de la capacité de pratiquer des enquêtes au moyen de règles de procédure uniformes;
  • un accord avec le Liechtenstein pour lutter contre la criminalité transfrontalière;
  • une répression plus sévère de la participation à des organisations criminelles ainsi que des délits liés au trafic de stupéfiants, à la traite d'êtres humains et au trafic d'organes humains;
  • la criminalisation des délits dits "émergents"– comme le trafic illégal de déchets, le trafic illicite d'œuvres d'art et d'espèces protégées ainsi que la contrefaçon de marchandises – très lucratifs pour les organisations criminelles ;
  • une proposition législative sur un programme européen efficace pour la protection des dénonciateurs pour les cas de corruption transfrontaliers et la protection des témoins de justice ;
  • une proposition législative sur Europol afin d'améliorer l'efficacité opérationnelle d'Europol dans la lutte contre la grande criminalité et la criminalité organisée;
  • un plan d'action européen contre le trafic illégal d'espèces sauvages, assorti d'objectifs concrets et de sanctions sévères et harmonisées.

La Plénière a toutefois renoncé à demander la création d'un centre de formation au renseignement pour doter l'Union de nouveaux analystes de l'information.