Situation des droits de l'homme dans la région du Sahel

2013/2020(INI)

La commission des affaires étrangères a adopté le rapport d’initiative de Charles TANNOCK (ECR, UK) sur la situation des droits de l'homme dans la région du Sahel.

Les députés rappellent que le Sahel est l'une des régions les plus pauvres du monde, qui est confrontée à de graves problèmes de droits de l'homme, d'état de droit, de sécurité et de conflits armés, ainsi qu'à de graves problèmes de développement économique et social. Par Sahel, il faut entendre une région couvrant la Mauritanie, le Mali, le Niger et les régions concernées du Burkina Faso et du Tchad.

Les députés rappellent le rôle important joué par l'Union européenne, en tant que plus grand donateur d'aide au monde, pour relever les défis du développement auxquels est confrontée la région du Sahel et insistent sur l'importance d'impliquer les autres acteurs internationaux dans les efforts visant à éliminer la pauvreté et la faim, à promouvoir l'égalité des sexes et à réduire les taux de mortalité infantile.

Les droits de l'homme dans les situations de conflit armé : les députés notent l’urgence à régler les graves violations des droits de l’homme au Mali et appellent l'Union européenne et les pays du Sahel à appliquer pleinement les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Ils s’insurgent contre les actes de violence brutale dont certains sont perpétrés contre des enfants au Mali. Ils invitent tous les États du Sahel à s'engager dans une politique de prévention et de protection pour éviter que les enfants soient enrôlés de force par des groupes armés. Pour les députés, ces États devraient être condamnés.

Se félicitant de l’opération «Serval» menée par la France et du rôle joué par la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA), les députés appellent à un renforcement de l’aide à destination de ce pays. Ils estiment qu’il est également essentiel, pour instaurer une paix et une stabilité durables au Mali, de lutter contre l'impunité, en offrant des recours aux victimes et en poursuivant tous les auteurs de graves violations des droits de l'homme.

Les députés déplorent également les importants déplacements de population issus des conflits armés et du sort de milliers de réfugiés du Darfour dans l'est du Tchad. Ils réclament à cet effet une coordination des politiques en faveur des réfugiés entre l'Union, les États du Sahel, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, l'Union africaine et la CEDEAO, permettant l'accueil des réfugiés et garantissant une sécurité humaine pour les groupes les plus vulnérables.

Responsabilité et réforme des institutions gouvernementales, judiciaires et de sécurité : les députés considèrent que les problèmes de droits de l'homme actuellement constatés dans la région du Sahel ne peuvent être dissociés d'une crise générale de la gouvernance, qui associe la corruption généralisée de la fonction publique, la médiocrité des services de base, l'application insuffisante des droits sociaux et économiques, et les graves problèmes rencontrés pour garantir l'état de droit et assurer un contrôle efficace des frontières.

Ils expriment en outre leur inquiétude au sujet des "autoroutes du trafic" qui profitent de la porosité des frontières pour traverser l'Afrique d'ouest en est et du sud au nord à partir de la côte d'Afrique de l'Ouest, facilitant le transport d'armes, de drogues, de cigarettes, de pétrole, de médicaments contrefaits et la traite d'êtres humains. Les députés appellent dès lors à une stratégie globale de lutte contre la traite, englobant la collecte et l'analyse de données, la poursuite et la condamnation des trafiquants ainsi que des mesures pour la réhabilitation et l'intégration sociale de toutes les victimes.

Les députés condamnent également la recrudescence des cas d'enlèvement et de prise d'otages dans la région et mettent en outre en garde contre une montée de l'extrémisme dans les pays du Printemps arabe. Ils invitent la HR/VP à diriger le processus de coopération avec les gouvernements, institutions et organisations de la société civile de ces pays, de manière à soutenir véritablement les processus de transition démocratique.

Face à l’ensemble de ces constats, les députés estiment qu’il est primordial d'encourager la réforme des institutions responsables des services judiciaires, des services de sécurité et des services de base dans les pays du Sahel afin de favoriser le rétablissement de l'état de droit et créer des conditions plus favorables à la transition démocratique, au respect des droits de l'homme, au développement durable et à la légitimité institutionnelle. Ils encouragent les gouvernements du Sahel à poursuivre le processus de décentralisation en transférant davantage de pouvoirs et de ressources aux autorités locales, et à renforcer leur capacité, leur légitimité et leur responsabilité. De même, ils soulignent la nécessité impérative, surtout au Mali, de faire le nécessaire pour que le ministère de la justice dispose des ressources humaines et financières suffisantes.

Par ailleurs, des mesures sont réclamées pour que les pays du Sahel collaborent avec la Cour pénale internationale, réagissent contre les arrestations arbitraires, et améliorent les conditions de vie des prisonniers.

Libertés civiles et gouvernance démocratique : les députés estiment qu'il est essentiel de créer des conditions propices à l'organisation d'élections libres, équitables et démocratiques, conformes aux normes internationales. Ils saluent l'utilisation d'une mission d'observation des élections de l'Union européenne (MOE) lors des élections maliennes et rappellent la nécessité que le SEAE donne une suite adéquate aux recommandations de la MOE.

Les députés déplorent profondément les restrictions à la liberté d'expression, de réunion et d'association au Sahel. Ils demandent à ces pays de cesser toute arrestation arbitraire et campagne d'intimidations à l'encontre de la presse et des médias, des défenseurs des droits de l'homme ou des membres de l'opposition.

Développement, aide humanitaire et droits de l'homme : les députés réaffirment le lien indissociable entre sécurité humaine et développement dans les pays du Sahel, tel que défini dans la stratégie de l'Union européenne de 2011 pour la sécurité et le développement au Sahel. Ils soulignent l'importance, pour la réussite durable des politiques de développement, d'une stabilité en matière de sécurité, d'économie, de politique, de respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans cette région.

Ils observent en outre la pauvreté extrême et omniprésente dans tout le Sahel, et en particulier au Mali, au Niger, au Tchad et au Burkina Faso, mais aussi en Mauritanie. Ils soulignent également l'interdépendance du développement, de la démocratie, des droits de l'homme, de la bonne gouvernance et de la sécurité au Sahel et réaffirment leur soutien à l'approche basée sur les droits de l'homme et l'appropriation démocratique dans la coopération au développement. Ils rappellent la nécessité de conditionner l'aide au développement à destination des États à leur respect des droits fondamentaux et réaffirment que l'allocation efficace de fonds au titre de l'aide européenne au développement exige la capacité de l'Union à contrôler efficacement l'utilisation de ces fonds pour s'assurer qu'ils ne sont pas détournés de leur usage initial.

Les députés invitent par ailleurs l'Union à soutenir toutes les actions entreprises par les États du Sahel, les ONG et la société civile pour améliorer l'accès aux soins surtout pour les populations les plus vulnérables.

Parallèlement, les gouvernements du Sahel sont appelés à s'attaquer aux causes profondes de la crise, avec une stratégie de développement économique durable répondant aux préoccupations politiques, économiques et sociales des citoyens, comme l'accès à la nourriture, à l'éducation, aux soins, à l'emploi, au logement, la redistribution des richesses, des conditions de vie décentes, etc. Les députés insistent en particulier sur l'urgence d'accorder une aide humanitaire de l'Union pour la réalisation des OMD, en particulier pour les femmes.

Face à l’imminence d’une nouvelle crise alimentaire, les députés invitent aussi la Commission à utiliser de façon optimale les fonds alloués pour la lutte contre la malnutrition (123,5 millions EUR en 2012) pour couvrir les besoins de la population touchée et soutenir le développement des capacités locales. Des mesures sont également réclamées pour renforcer l’accès à l’eau potable, renforcer le principe d’une éducation pour tous et améliorer les infrastructures de base.

Situation des femmes, des enfants et des minorités en matière de droits de l'homme : les députés condamnent l'esclavage qui perdure, souvent par tradition, dans la région du Sahel, et en particulier en Mauritanie, où il affecterait une importante minorité de la population. Ils se disent en outre gravement préoccupés par les preuves faisant état de travail d'enfants dans les mines d'or, l'agriculture et la sylviculture maliennes ou encore les cas d’enlèvement d’enfants au Tchad. D’une manière générale, les députés appellent les États du Sahel à promouvoir l'accès à l'éducation pour tous les enfants, garçons et filles et pour les populations nomades sans discriminations de race, de caste ou d'ethnie.

En ce qui concerne les femmes, les députés demandent des mesures pour lutter contre les discriminations dont elles sont victimes, notamment les mariages forcés, les mariages d'enfants, l'exploitation sexuelle, le manque d'éducation et la pratique généralisée des mutilations génitales féminines. Ils demandent en particulier l’adoption de lois générales anti-discrimination dans l’ensemble des pays concernés.

Ils soulignent par ailleurs la nécessité de respecter les droits de l'homme au Sahara occidental et dans les camps de Tindouf sans attendre un quelconque règlement politique final du conflit au Sahara occidental.

En guise de conclusion, les députés font enfin une série de propositions de recommandations politiques de l'Union européenne pour le Sahel. Celles-ci peuvent se résumer comme suit :

  • soulager la détresse des réfugiés et des personnes déplacées à l'intérieur du pays dans toute la région;
  • lutter contre les fléaux de l'esclavage, de la traite d'êtres humains et d'autres formes de trafic et de contrebande dans la région;
  • améliorer la situation des femmes, des enfants et des minorités;
  • assurer l'acheminement efficace et effectif de l'aide, en offrant aux gouvernements un soutien renforcé sur la base du principe "donner plus pour recevoir plus";
  • mettre fin à la culture de l'impunité, notamment en soutenant des mesures déjà proposées ou mises en place au Mali et ailleurs;
  • protéger les libertés civiles et améliorer la gouvernance démocratique grâce à des processus électoraux inclusifs et à une représentation crédible, ainsi qu'en soutenant la société civile;
  • protéger la diversité et le patrimoine culturels.

Les députés recommandent également que l'Union envisage la possibilité de sanctions ciblées, sous la forme de gels d'avoirs, d'interdictions de visa ou d'autres instruments, à l'encontre des principaux auteurs de violations des droits de l'homme, au Mali et dans le reste de la région.