Rescrits fiscaux et autres mesures similaires par leur nature ou par leur effet

2015/2066(INI)

La commission spéciale sur les rescrits fiscaux et autres mesures similaires par leur nature ou par leur effet a adopté le rapport préparé par les co-rapporteurs Elisa FERREIRA (S&D, PT) et Michael THEURER (ADLE, DE) sur ce sujet.

Pour rappel, le scandale LuxLeaks, qui a éclaté le 5 novembre 2014, a révélé l'étendue du recours à des accords secrets faisant appel à des structures financières complexes destinées à obtenir des réductions d'impôt drastiques. LuxLeaks a porté l'attention du public et des médias sur ces questions en dévoilant les pratiques fiscales discutables favorisées par des cabinets d'expertise comptable dans un État membre donné.

Les enquêtes menées par la Commission et les travaux réalisés par le Parlement par l'intermédiaire de sa commission spéciale ont démontré qu'il ne s'agissait pas d'un cas isolé mais que la pratique qui consiste à prendre des mesures fiscales pour réduire globalement l'assujettissement à l'impôt de certaines sociétés de sorte à augmenter de manière artificielle l'assiette fiscale nationale au détriment d'autres pays, qui, pour certains, font l'objet de mesures d'austérité, était largement répandue en Europe et ailleurs.

Face à ce constat, la commission spéciale a formulé les recommandations suivantes:

Lieu d'imposition: les députés ont noté que la planification fiscale agressive par les multinationales se traduisait par des comportements qui finissent souvent par dissocier le lieu où la valeur est créée de celui où les bénéfices sont imposés. Ils ont invité les États membres à respecter le principe d'imposition des bénéfices sur le territoire où ils ont été générés, soulignant qu'au sein du marché intérieur, les nouveaux acteurs et les nouvelles entreprises, y compris les PME, qui n'ont pas recours à des pratiques fiscales agressives, sont défavorisées par rapport aux multinationales qui peuvent transférer leurs bénéfices en raison de leur taille et de leur capacité à organiser des activités commerciales au niveau international.

La commission spéciale a relevé avec préoccupation que la charge fiscale réduite qui pèse sur ces multinationales leur permet de dégager un volume plus élevé de bénéfices après impôt, ce qui crée des conditions de concurrence inéquitables avec leurs concurrents sur le marché unique. Cette distorsion de la neutralité concurrentielle en faveur des multinationales va à l'encontre du principe fondamental du marché unique.

Le rapport a invité les États membres à:

  • mettre fin à une concurrence fiscale dommageable et de coopérer pleinement afin d'éliminer les incohérences entre régimes fiscaux et les mesures fiscales dommageables, qui créent les conditions d'un recours en masse à l'évasion fiscale par les multinationales et d'une érosion de l'assiette fiscale au sein du marché intérieur;
  • signaler à la Commission et aux autres États membres toute modification significative de leur législation en matière d'impôt sur les sociétés qui pourrait avoir un impact sur leurs taux d'imposition effectifs ou sur les recettes fiscales d'un autre État membre ;
  • afficher une volonté politique nouvelle et à s'engager à prendre des mesures urgentes pour résoudre la situation actuelle, qui ne saurait être tolérée plus longtemps, au premier chef à cause de ses effets néfastes sur les budgets nationaux, qui sont déjà soumis à des mesures d'assainissement budgétaire, et sur la contribution fiscale des autres contribuables, à savoir les PME et les citoyens. Les députés ont souligné, dans ce contexte, l'intention du Parlement de s'acquitter scrupuleusement de son rôle en mettant en place, avec l'aide des parlements nationaux, un contrôle politique plus rigoureux.

Coopération et coordination en matière de décisions fiscales anticipées : le rapport a déploré le contenu de l'accord politique du 6 octobre 2015 au sein du Conseil, qui n'est pas à la hauteur de la proposition législative de la Commission présentée en mars 2015 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal.

Les députés ont donc invité le Conseil à s'en tenir à la proposition de la Commission et à tenir dûment compte de l'avis du Parlement sur le sujet, en particulier en ce qui concerne : i) le champ d'application de la directive (tous les rescrits fiscaux et pas seulement les rescrits transfrontaliers), ii) la période de rétroactivité (tous les rescrits fiscaux encore valides seraient échangés) et iii) les informations à fournir à la Commission, qui devrait avoir accès aux rescrits fiscaux.

La commission spéciale a estimé que les éléments fondamentaux de tout rescrit susceptibles d'avoir des répercussions sur d'autres États membres devraient non seulement être communiqués aux administrations fiscales concernées et à la Commission, mais encore consignés dans les rapports par pays présentés par les multinationales.

Transparence: les députés ont réclamé une plus grande transparence concernant les activités de multinationales pour que les administrations fiscales puissent lutter efficacement contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices.

Ainsi, les multinationales devraient déclarer dans leurs états financiers, d'une manière claire et compréhensible, pour chaque État membre et chaque pays tiers dans lequel elles sont établies, un ensemble d'informations agrégées, y compris leur résultat d'exploitation avant impôt, les impôts sur le résultat, le nombre de salariés, les actifs détenus, des informations de base sur les rescrits fiscaux (rapports par pays). Ces informations devraient être mises à la disposition du public, si possible sous la forme d’un registre central européen.

Les États membres sont invités à mettre en place un système de renseignements par pays plus complet destiné aux autorités fiscales conformément à la norme de l’OCDE en la matière et incluant des informations plus détaillées concernant notamment les déclarations fiscales et les transactions intragroupes.

Assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) : tout en prenant acte du plan d'action proposé par la Commission le 17 juin 2015 pour lutter contre l'évasion fiscale et promouvoir l'équité et l'efficacité de la fiscalité des entreprises dans l'Union européenne, les députés ont demandé à la Commission de présenter une proposition rectificative pour établir au plus tôt une assiette commune obligatoire consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACIS), ce qui tiendrait compte non seulement du problème des régimes préférentiels et des incohérences entre régimes fiscaux nationaux, mais aussi des principaux facteurs de l'érosion de l'assiette fiscale au niveau européen (en particulier les problèmes liés à l'établissement de prix de transfert).

En attendant l'adoption d'une ACCIS pleine et entière et sa pleine mise en application au niveau de l'Union, la Commission a été invitée à :

  • prendre des mesures immédiates pour assurer une réelle imposition et réduire les transferts de bénéfices (qui passent principalement par l'établissement de prix de transfert) ;
  • préparer un régime qui équilibre les pertes et les profits transfrontaliers, lequel devrait être de nature temporaire et présenter des garanties suffisantes qu'il ne créera pas de nouvelles possibilités d'optimisation fiscale agressive, et d'incorporer davantage de règles anti-abus efficaces et appropriées dans toutes les directives pertinentes ;
  • publier une législation claire pour la définition de la substance économique, de la création de valeur et de l'établissement stable, dans le but de lutter notamment contre les sociétés boîte aux lettres, et de mettre au point des critères et une législation de l'Union pour le traitement de la R&D qui soient compatibles avec les travaux de l'OCDE en la matière.

Aides d'État: à cet égard, les députés ont appelé la Commission à:

  • adopter de nouvelles lignes directrices, au plus tard pour la mi-2017, dans le cadre de son initiative de modernisation des aides d’État, qui établissent une définition claire des notions d'aide d’État de nature fiscale et de prix de transfert «approprié», afin de lever toute incertitude juridique pour les contribuables et les administrations fiscales qui respectent leurs obligations ;
  • étendre ses investigations à d'autres multinationales mentionnées dans le scandale Luxleaks et à des mesures similaires au prix de transfert par leur nature ou leur effet;
  • envisager la création d'un réseau des administrations fiscales nationales pour échanger les bonnes pratiques et contribuer de façon plus systématique à empêcher l'adoption de mesures fiscales qui pourraient constituer une aide d’État illégale.

Code de conduite en matière de fiscalité des entreprises : les députés ont demandé une réforme urgente du code de conduite en matière de fiscalité des entreprises et du groupe chargé du contrôle de son application, vu que son utilité s'est avérée jusqu'ici incertaine. La réforme devrait lever les barrières qui entravent actuellement la lutte contre les pratiques fiscales dommageables et contribuer à une coordination et à une coopération à l'échelle de l'UE dans le domaine de la politique fiscale.

Protection des lanceurs d'alerte : le rapport a invité la Commission à proposer d'ici juin 2016 la création d’un cadre législatif de l’Union destiné à assurer une protection efficace des lanceurs d'alerte et similaires. Il a souligné qu'il n’était pas acceptable que les citoyens et les journalistes puissent faire l'objet de poursuites plutôt que bénéficier d'une protection juridique lorsque, au nom de l'intérêt public, ils divulguent des informations ou font rapport sur des soupçons d'abus notamment dans des cas d’évasion fiscale.

La Commission est invitée à envisager une série d'instruments qui permettront d'assurer une telle protection contre toutes poursuites judiciaires, sanctions économiques ou discriminations injustifiées, tout en assurant la protection de la confidentialité et des secrets d’affaires.