Rescrits fiscaux et autres mesures similaires par leur nature ou par leur effet

2015/2066(INI)

Le Parlement a adopté par 508 voix pour, 108 contre et 85 abstentions, une résolution sur les rescrits fiscaux et autres mesures similaires par leur nature ou par leur effet.

Pour rappel, le scandale LuxLeaks, qui a éclaté le 5 novembre 2014, a révélé l'étendue du recours à des accords secrets faisant appel à des structures financières complexes destinées à obtenir des réductions d'impôt drastiques. Or, dans de nombreux cas, les filiales luxembourgeoises, dont le chiffre d'affaires s'élève à plusieurs centaines de millions d'euros, ne maintiennent qu'une faible présence et n'exercent qu'une activité économique réduite au Luxembourg.

Le scandale a porté l'attention du public et des médias sur ces questions en dévoilant les pratiques fiscales discutables favorisées par des cabinets d'expertise comptable dans un État membre donné. Les enquêtes menées par la Commission et les travaux réalisés par le Parlement par l'intermédiaire de sa commission spéciale ont démontré qu'il ne s'agissait pas d'un cas isolé mais que la pratique qui consiste à prendre des mesures fiscales pour réduire globalement l'assujettissement à l'impôt de certaines sociétés de sorte à augmenter de manière artificielle l'assiette fiscale nationale au détriment d'autres pays, qui, pour certains, font l'objet de mesures d'austérité, était largement répandue en Europe et ailleurs.

Le Parlement a considéré que soumettre ces pratiques au contrôle public s'inscrivait dans le cadre du contrôle démocratique. S’agissant des pratiques en matière d'impôt sur les sociétés dans les États membres et de l’impact de la planification fiscale agressive, il a formulé les observations suivantes :

  • eu égard à la grande diversité qui caractérise les 28 systèmes fiscaux existants au sein de l'Union, le Parlement a déploré que des notions de base, tels que l'équilibre entre l'imposition à la source et l'imposition selon la résidence, l'établissement stable et les entités imposables, la réalité économique et les règles anti-abus, la définition des intérêts et des redevances, le traitement des actifs incorporels, le traitement de la dette et des fonds propres, sans parler des éléments déductibles ou pas de l'assiette fiscale, échappent actuellement à toute définition ou toutes orientations communes au sein de l'Union. La nécessité d'harmoniser ces définitions a été soulignée ;
  • l'évasion fiscale pratiquée par certaines multinationales peut aboutir à des taux d'imposition effectifs pratiquement nuls pour les profits générés dans des pays européens. Ainsi, les multinationales concernées tirent parti de différents biens et services publics des pays où elles exercent leurs activités sans pour autant payer leur juste part;
  • seules les entreprises qui exercent des activités transfrontalières peuvent transférer leurs bénéfices, ce qui pénalise les concurrents dont l'activité se déroule dans un seul pays;
  • l'évasion fiscale des entreprises signifie que certains des contribuables à la plus forte capacité contributive apportent une contribution bien inférieure à celles des contribuables les plus touchés par la crise économique et financière et par la crise de la dette, tels que les citoyens ordinaires et les entreprises qui n'ont pas recours à la planification fiscale agressive ;
  • une étude du FMI portant sur 51 pays indique que le transfert de bénéfices entre territoires d'imposition entraîne une perte moyenne de revenus de près de 5% des recettes provenant de l'impôt sur les bénéfices des entreprises - et de près de 13% dans les pays non membres de l'OCDE ;
  • en dépit du nombre non négligeable, au sein de l'Union, de litiges causés par des interprétations divergentes des mêmes principes en matière d'établissement de prix de transfert, aucun mécanisme efficace de résolution des litiges n'a été mis en place au niveau européen.

Face à ce constat, le Parement a formulé les recommandations suivantes:

Nécessité de règles claires : sans empiéter sur la compétence des États à déterminer le taux d'imposition qu'ils souhaitent appliquer aux entreprises, le Parlement a insisté sur le fait que la concurrence en matière fiscale, tant au sein de l'Union qu'avec les pays tiers, devrait avoir pour cadre un ensemble de règles clair. Il a demandé à la Commission d'aborder les problèmes en la matière dans le cadre du Semestre européen et que des indicateurs, y compris des estimations du manque à gagner fiscal résultant de l'évitement fiscal, soient ajoutés au tableau de bord de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques.

Coopération et coordination en matière de décisions fiscales anticipées : le Parlement a déploré le contenu de l'accord politique du 6 octobre 2015 au sein du Conseil, qui n'est pas à la hauteur de la proposition législative de la Commission présentée en mars 2015 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal.

Les députés ont donc invité le Conseil à s'en tenir à la proposition de la Commission et à tenir dûment compte de l'avis du Parlement sur le sujet, en particulier en ce qui concerne : i) le champ d'application de la directive (tous les rescrits fiscaux et pas seulement les rescrits transfrontaliers), ii) la période de rétroactivité (tous les rescrits fiscaux encore valides seraient échangés) et iii) les informations à fournir à la Commission, qui devrait avoir accès aux rescrits fiscaux.

Transparence : le Parlement a réaffirmé sa position selon laquelle les multinationales devraient déclarer dans leurs états financiers, d'une manière claire et compréhensible, pour chaque État membre et chaque pays tiers dans lequel elles sont établies, un ensemble d'informations agrégées, y compris leur résultat d'exploitation avant impôt, les impôts sur le résultat, le nombre de salariés, les actifs détenus, des informations de base sur les rescrits fiscaux (rapports par pays).

Assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) : tout en prenant acte du plan d'action proposé par la Commission le 17 juin 2015 pour lutter contre l'évasion fiscale et promouvoir l'équité et l'efficacité de la fiscalité des entreprises dans l'Union européenne, les députés ont demandé à la Commission de présenter une proposition rectificative pour établir au plus tôt une assiette commune obligatoire consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACIS), ce qui tiendrait compte non seulement du problème des régimes préférentiels et des incohérences entre régimes fiscaux nationaux, mais aussi des principaux facteurs de l'érosion de l'assiette fiscale au niveau européen (en particulier les problèmes liés à l'établissement de prix de transfert).

Le Parlement a invité la Commission à :

  • renouer le lien entre fiscalité et substance économique et veiller à ce que les impôts soient payés dans les pays où l'activité économique a réellement lieu et où la valeur est réellement créée ;
  • réfléchir à la position du Parlement européen sur l'ACCIS et à adopter une formule de répartition qui cadre avec les activités économiques réelles des entreprises;
  • prendre des mesures immédiates pour assurer une réelle imposition et réduire les transferts de bénéfices (qui passent principalement par l'établissement de prix de transfert) ;
  • préparer un régime qui équilibre les pertes et les profits transfrontaliers, lequel devrait être de nature temporaire et présenter des garanties suffisantes qu'il ne créera pas de nouvelles possibilités d'optimisation fiscale agressive, et à incorporer davantage de règles anti-abus efficaces dans toutes les directives pertinentes ;
  • publier une législation claire pour la définition de la substance économique, de la création de valeur et de l'établissement stable, dans le but de lutter notamment contre les sociétés boîte aux lettres, et de mettre au point des critères et une législation de l'Union pour le traitement de la R&D qui soient compatibles avec les travaux de l'OCDE en la matière. Le Parlement a souligné à cet égard que les régimes fiscaux favorables aux brevets ne contribuaient pas à stimuler l'innovation et pouvaient entraîner une forte érosion de la base d'imposition par un transfert des bénéfices.

Aides d'État: le Parlement a souligné que certaines pratiques fiscales dommageables sont susceptibles de relever du champ d'application des règles en matière d'aides d'État dans le domaine fiscal, notamment parce qu'elles peuvent accorder un avantage sélectif et fausser la concurrence au sein du marché intérieur. La Commission est dès lors appelée à:

  • adopter de nouvelles lignes directrices, au plus tard pour la mi-2017, dans le cadre de son initiative de modernisation des aides d’État, qui établissent une définition claire des notions d'aide d’État de nature fiscale et de prix de transfert «approprié», afin de lever toute incertitude juridique pour les contribuables et les administrations fiscales qui respectent leurs obligations ;
  • étendre ses investigations à d'autres multinationales mentionnées dans le scandale Luxleaks et à des mesures similaires au prix de transfert par leur nature ou leur effet;
  • envisager la création d'un réseau des administrations fiscales nationales pour échanger les bonnes pratiques et contribuer de façon plus systématique à empêcher l'adoption de mesures fiscales qui pourraient constituer une aide d’État illégale ;
  • modifier les règles existantes afin de garantir que des sanctions puissent être adoptées contre les pays et les entreprises concernés en cas de violation des règles relatives aux aides d'État.

Code de conduite en matière de fiscalité des entreprises : le Parlement a déploré que les travaux du groupe «code de conduite (fiscalité des entreprises)» semblaient marquer le pas, relevant que les autorités fiscales étaient allées à l'encontre des recommandations du groupe en créant de nouvelles structures aux effets tout aussi dommageables que celles dont le groupe avait obtenu le retrait.

Les députés ont demandé une réforme urgente du code de conduite en matière de fiscalité des entreprises et du groupe chargé du contrôle de son application, vu que son utilité s'est avérée jusqu'ici incertaine. La réforme devrait lever les barrières qui entravent actuellement la lutte contre les pratiques fiscales dommageables et contribuer à une coordination et à une coopération à l'échelle de l'UE dans le domaine de la politique fiscale.

Protection des lanceurs d'alerte : le rapport a invité la Commission à proposer d'ici juin 2016 la création d’un cadre législatif de l’Union destiné à assurer une protection efficace des lanceurs d'alerte et similaires. Il a souligné qu'il n’était pas acceptable que les citoyens et les journalistes puissent faire l'objet de poursuites plutôt que bénéficier d'une protection juridique lorsque, au nom de l'intérêt public, ils divulguent des informations ou font rapport sur des soupçons d'abus notamment dans des cas d’évasion fiscale.

La Commission est invitée à envisager une série d'instruments qui permettront d'assurer une telle protection contre toutes poursuites judiciaires, sanctions économiques ou discriminations injustifiées, tout en assurant la protection de la confidentialité et des secrets d’affaires.

Echange d’informations : le Parlement a noté que les États membres n'avaient pas respecté les obligations prévues dans les directives 77/799/CEE et 2011/16/UE du Conseil, ayant omis d'échanger spontanément des informations fiscales, y compris dans des affaires où il y avait de bonnes raisons de s'attendre à des pertes fiscales pour d'autres États membres ou de subodorer que des économies d'impôt résultaient de transferts artificiels des bénéfices au sein d'un groupe.

Déplorant l'inefficacité du cadre législatif et de surveillance actuel en matière d'échange d'informations sur les mesures fiscales, les députés ont rappelé que l'échange automatique, transparent et efficace d'informations fiscales détaillées et l'existence d'une assiette fiscale commune consolidée et obligatoire pour les entreprises étaient des conditions nécessaires à la création d'un système fiscal au niveau de l'Union qui respecte et sauvegarde les principes fondamentaux du marché intérieur. Il a demandé à la Commission d’utiliser tous les instruments à sa disposition pour favoriser une approche plus coordonnée à l'égard des pays développés afin de promouvoir une réciprocité accrue en matière fiscale.

Paradis fiscaux : le Parlement a noté que la concurrence en matière fiscale recouvrait un ensemble de pratiques d'envergure internationale, qui s'appuient sur le transfert de bénéfices vers des juridictions sans réelle activité économique, qui cultivent une fiscalité réduite ou inexistante, ou le secret. Il a déploré l'absence de toute démarche d'ensemble des États membres face à ces juridictions et plaidé en faveur d'une approche commune de l'Union à l'égard des paradis fiscaux. La Commission a été invitée à :

  • poursuivre ses travaux sur l'élaboration et l'adoption d'une définition européenne et d'un ensemble commun de critères permettant d'identifier les paradis fiscaux, où qu'ils se trouvent, et sur des sanctions appropriées pour les pays qui coopèrent avec eux ;
  • inclure sur la liste noire européenne ces territoires qui accordent des avantages fiscaux à des sociétés sans exiger d'elles une activité économique substantielle dans le pays, offrent une imposition effective à un taux significativement bas et ne garantissent pas l'échange automatique d'informations en matière fiscale avec d'autres juridictions ;
  • veiller à ce que les organismes de l'Union de ne pas coopérer avec des pays et territoires non coopératifs en matière fiscale, ni avec les entreprises convaincues de fraude fiscale, d'évasion fiscale ou de planification fiscale agressive.

Numéro européen d'identification fiscale (NIF) : le Parlement a invité la Commission à présenter une proposition de numéro d'identification fiscale (NIF) de l'Union, sur la base du projet de NIF européen figurant dans le Plan d’action de 2012 de la Commission pour renforcer la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.