Rapport 2018 de la Commission sur la Turquie

2018/2150(INI)

OBJECTIF: présentation d’un document de travail des services de la Commission sur le rapport de 2018 concernant la Turquie dans le contexte de la politique  d’élargissement de l'UE.

CONTEXTE : l’état d’urgence déclaré à la suite du coup d’État avorté du 15 juillet 2016 reste en vigueur, visant à démanteler le mouvement Gülen (désigné par les autorités turques comme une organisation terroriste responsable du coup d’État avorté) mais aussi à soutenir la lutte contre le terrorisme, face au contexte d’attaques répétées en Turquie. L’UE, qui a directement condamné le coup avorté, a réitéré son plein soutien aux institutions démocratiques du pays et reconnu le besoin légitime, dans le chef de la Turquie, de prendre des actions rapides et proportionnées face à une menace aussi sérieuse. Toutefois, l'ampleur et la nature collective, ainsi que le caractère disproportionné des mesures prises depuis la tentative de coup d'État d'urgence, telles que les licenciements, les arrestations et les détentions généralisées, continuent de susciter de graves préoccupations. La Turquie devrait lever l'état d'urgence sans délai.

Dans le cadre des négociations d’adhésion, 16 chapitres ont été ouverts jusqu’à présent et un de ces derniers a été fermé provisoirement. Dans les circonstances actuelles, aucune ouverture de nouveaux chapitres n’est envisagée. Le gouvernement turc a réitéré son engagement à l’adhésion européenne, mais cet engagement ne s’est pas traduit par des mesures et réformes correspondantes.  Au contraire, la Turquie s’est éloignée de l’Union Européenne.

CONTENU : concernant sa capacité à assumer les obligations liées à son adhésion, la Turquie a continué à s’aligner sur les acquis européens, bien qu’à un rythme limité. Il y a eu davantage de cas de recul concernant un certain nombre d'aspects clés dans les domaines de la société de l'information, de la politique sociale et de l'emploi et des relations extérieures.

La Turquie dispose d’une bonne avance dans les domaines du droit des sociétés, des réseaux transeuropéens, de la science et la rechercher et elle a atteint un bon niveau de préparation dans les domaines de la liberté de circulation des biens, du droit de la propriété intellectuelle, des services financiers, des politiques d’entreprise et industrielles, de la protection des consommateurs et la santé, de l’union douanière et du contrôle financier. La Turquie est modérément préparée dans le domaine des statistiques et de la politique de transport, où des efforts significatifs sont nécessaires à tous les niveaux.

La Turquie a atteint un niveau satisfaisant de préparation sur l’environnement et le changement climatique, domaines dans lesquels des décisions plus ambitieuses et mieux coordonnées doivent encore être établies et mises en œuvre. Dans tous les domaines, il faut plus d’attention pour appliquer la législation. Beaucoup de domaines nécessitent plus de progrès significatifs pour atteindre un alignement avec l’acquis européen.

Normalisation des relations bilatérales avec Chypre : la Turquie a exprimé son soutien pour des discussions sur un accord chypriote entre les dirigeants des deux communautés. Cependant, la Turquie n’a toujours pas rempli son obligation de garantir une mise en œuvre complète et non discriminatoire du Protocole additionnel à l’accord d’association et n’a pas supprimé tous les obstacles à la liberté de mouvement des biens, en ce compris des restrictions sur les liens de transport direct avec Chypre. Aucun progrès n’a été noté en ce qui concerne la normalisation des relations bilatérales avec Chypre.

Les principaux chapitres du rapport peuvent se résumer comme suit :

Dialogue politique et économique : la Commission, conjointement avec le Service européen d’action extérieure, a maintenu les relations UE-Turquie dans tous les domaines d’intérêt clés basés sur une large stratégie d’engagement. Le dialogue politique soutenu entre l’UE et la Turquie a été maintenu. Des discussions régulières sur les politiques extérieure et de sécurité se sont tenues sur un large éventail de sujets et de régions, en ce compris la Syrie, l’Iraq, l’Iran, l’Arabie Saoudite, le Moyen-Orient et le Golfe, l’Afghanistan, la Lybie, la Russie, l’Ukraine, les Balkans de l’Ouest, le Caucase du Sud et l’Asie centrale.

Concernant le critère économique, l’économie turque est bien avancée et peut être considérée comme une économie de marché fonctionnelle. L'économie, soutenue par les mesures de relance de l'État, a réussi à se remettre de la contraction observée à la suite de la tentative de coup d'État de 2016 et a enregistré une forte croissance en 2017.  Cependant, cette croissance est accompagnée de déséquilibres macroéconomiques significatifs. L’économie turque a continué d’être caractérisée par un haut niveau d’informalité.

La Turquie a fait des progrès et a un bon niveau de préparation pour faire face à la  pression concurrentielle et aux forces du marché avec l’UE. La Turquie est bien intégrée dans le marché européen, tant sur le plan du commerce que celui des investissements. Des progrès ont été réalisés dans le secteur de l’énergie, particulièrement dans le marché du gaz, et en augmentant les dépenses liées à la recherche et au développement. Cependant, des problèmes significatifs demeurent, notamment par rapport à la qualité de l’éducation.

Aucun progrès n’a été noté concernant l’amélioration de la transparence des aides d’État.

Système judiciaire : le système judiciaire turc est à un stade précoce de préparation. Il y a eu un sérieux recul dans l’année précédente, en particulier concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Corruption et crime organisé : le pays a un certain niveau de préparation dans la lutte contre la corruption, où aucun progrès n’a été accompli. Le cadre institutionnel et légal doit s’aligner plus avec les standards internationaux. Un consensus large et multipartite ainsi qu’une forte volonté politique sont requis pour lutter efficacement contre la corruption. La corruption reste répandue dans beaucoup de domaines et continue d’être source d’inquiétudes. La Turquie doit améliorer sa législation sur le cyber crime, sur la confiscation des biens et sur la protection des témoins. Une législation de protection des données existe mais n’est pas encore alignée sur les standards européens. Dans la lutte contre le terrorisme, un cadre légal exhaustif sur le financement du terrorisme est en place.

Droits fondamentaux et liberté d’expression : le cadre légal turc inclut des garanties générales de respect pour les droits humains et fondamentaux, deux droits mis à l’épreuve par un certain nombre de décrets d’urgence. Le sérieux recul de la liberté d’expression a continué, un domaine où la Turquie est à une phase précoce de préparation.

Des poursuites pénales contre des journalistes - avec plus de 150 d’entre eux détenus -, des défenseurs des droits de l’homme, des écrivains, des utilisateurs de médias sociaux, le retrait de cartes de presse ainsi que la fermeture de nombreux diffuseurs de médias ou encore la nomination par le gouvernement de personnes pour les administrer sont autant de sources d’inquiétude.

La loi Internet ainsi que le cadre légal général continuent de permettre à l’exécutif de bloquer le contenu en ligne sans décision de justice pour un large éventail de motifs inappropriés. Un sérieux recul a également été constaté dans les domaines de la liberté d’association, la liberté d’assemblée, les droits de la procédure et de la propriété. Des mesures adoptées dans le cadre de l'état d'urgence ont également supprimé les garanties essentielles protégeant les détenus contre les abus, augmentant ainsi le risque d'impunité, dans un contexte où les allégations de mauvais traitements et de torture se sont multipliées.

L'extrême pauvreté et le manque de produits de première nécessité restent courants dans les ménages roms en Turquie. Les droits des groupes les plus vulnérables et des personnes appartenant à une minorité devraient être suffisamment protégés. La violence basée sur le genre, la discrimination, les discours de haine contre les minorités, les crimes de haine et les violations des droits humains des LGBTQI restent une source d’inquiétude.