AVIS n° 4/2018 de la Cour des comptes concernant la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la protection des personnes dénonçant les infractions au droit de l'Union.
La Cour des comptes accueille favorablement la proposition, car elle estime que l'introduction ou l'extension, dans tous les États membres, de systèmes de lancement d'alertes tels que ceux proposés contribuerait à améliorer la gestion des politiques de l'Union, en permettant aux citoyens et aux salariés d'initier «par en bas» des améliorations qui s'ajouteraient aux mesures coercitives prises «par en haut», comme les procédures d'infraction à l'encontre des États membres intentées par la Commission au titre de l'article 258 du TFUE.
Champ d'application matériel
La proposition prétend protéger les personnes signalant quatre grandes catégories d'infractions: i) les infractions relevant des actes de l'Union dans quelques domaines bien déterminés ; ii) les infractions aux règles en matière de concurrence, iii) les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union et iv) les infractions relatives au marché intérieur, en ce qui concerne les actes qui violent les règles de l'impôt sur les sociétés ou les dispositifs destinés à obtenir un avantage fiscal allant l'encontre de la loi sur l'impôt sur les sociétés applicable.
Tout en saluant lobjectif de faire en sorte que la directive couvre un grand nombre de domaines d'action de l'Union européenne, la Cour des comptes sinquiète de la complexité du champ d'application matériel de la directive et des implications pratiques que cette complexité pourrait avoir en matière de protection efficace des lanceurs d'alerte. Si les États membres n'étendent pas volontairement le champ d'application de la directive lors de sa transposition dans le droit national, les utilisateurs finals risquent d'être amenés à effectuer des évaluations complexes nécessitant des connaissances approfondies qu'ils ne posséderont pas nécessairement.
Obligation d'établir des canaux et des procédures internes pour les signalements et leur suivi
La proposition ferait obligation aux États membres de veiller à ce que les entités juridiques du secteur privé et du secteur public établissent des canaux et des procédures internes destinés au lancement d'alertes. Les entités juridiques publiques concernées sont les administrations d'État, les administrations régionales, les municipalités comptant plus de 10.000 habitants et les autres entités régies par le droit public.
La Cour pense qu'exempter certaines municipalités de l'obligation d'établir des canaux de signalement internes réduirait considérablement la protection des lanceurs d'alerte, puisque la taille moyenne des municipalités dans l'Union européenne est de 5887 habitants, avec de fortes variations entre les États membres. La Commission devrait expliquer au Parlement et au Conseil pourquoi elle a retenu ce seuil.
Procédures pour les signalements internes et leur suivi
La Cour estime que les procédures ainsi que les modalités du signalement ne couvrent pas suffisamment la sensibilisation ou la formation du personnel dans loptique de favoriser une culture organisationnelle dans laquelle le lancement d'alertes soit bien accepté.
Conditions de protection des informateurs
La Cour considère que le facteur déterminant devrait être que l'information révélée dans le cadre du lancement d'alerte soit d'intérêt public. Les exceptions à la règle générale consistant à exiger un recours préalable aux canaux internes, qui sont formulées en termes généraux, devraient faire l'objet d'une interprétation (administrative et judiciaire) plus précise pour éviter de générer une insécurité pour les lanceurs d'alerte.
En ce qui concerne les exceptions à l'obligation d'utiliser les canaux de signalement internes, la proposition aurait par exemple pu prévoir les mêmes possibilités pour les lanceurs d'alerte qui ont des motifs raisonnables de croire qu'un signalement interne compromettrait leur sécurité personnelle ou leurs intérêts légitimes. La Cour pense également que les personnes qui ont effectué un signalement anonyme ne devraient pas se voir refuser la protection des lanceurs d'alerte si leur identité est révélée par la suite.
Mesures de protection des informateurs contre les représailles
Tout en accueillant favorablement la proposition, la Cour observe que la directive naborde pas la question des limitations dans le temps, ce qui met les États membres dans l'impossibilité d'établir comme de maintenir des limites de ce type en ce qui concerne la protection des lanceurs d'alerte.
Rapports, évaluation et révision
La Cour estime que des améliorations sont possibles. En particulier, le fait que la transmission de statistiques serait facultative pour certains États membres et que les statistiques ne seraient pas ventilées par domaine d'intervention, nuirait à l'efficacité de la directive. En outre, les statistiques ne seraient rendues publiques qu'après six ans à compter de l'expiration du délai de transposition, ou huit ans à compter de l'entrée en vigueur de la directive. Ce délai paraît anormalement long.
Selon la Cour, les informations statistiques sur le lancement d'alertes dans les États membres devraient impérativement être de la meilleure qualité possible. Elles devraient notamment être ventilées par pays, par acte juridique et par thème et inclure le résultat final des procédures intentées au civil et au pénal. Le cas échéant, la Commission pourrait étudier les différentes solutions possibles pour allouer des fonds de l'Union européenne aux États membres en vue de les aider à collecter les données demandées.