Rapport 2018 de la Commission sur la Turquie

2018/2150(INI)

Le Parlement européen a adopté par 370 voix pour, 109  contre et 143 abstentions une résolution sur le rapport 2018 de la Commission sur la Turquie. La résolution note que si le processus d'adhésion à l'UE a été à l'origine d'une forte motivation pour les réformes en Turquie, il y a eu une régression brutale dans les domaines de l'État de droit et des droits de l'homme au cours des quelques dernières années.

État d'urgence

Tout en se félicitant de la décision du 19 juillet 2018 de lever l'état d'urgence, le Parlement a regretté que la nouvelle législation introduite, en particulier la loi n° 7145, préserve bon nombre des pouvoirs conférés au Président et à l'Exécutif par l'état d'urgence et lui permette en substance de continuer, avec toutes les limitations que cela implique pour les libertés et droits humains fondamentaux.

Ils se sont inquiétés du fait que de nombreuses procédures en vigueur pendant l'état d'urgence sont toujours appliquées par les forces de police et les administrations locales et qu'il y a un sérieux recul dans les domaines de la liberté d'expression, de la liberté de réunion, de la liberté d'association et des droits de procédure et de propriété.

Plus de 50.000 personnes restent en prison, dans la plupart des cas sans preuve concluante. Compte tenu de la longueur de la détention provisoire et des procédures judiciaires et de la pratique généralisée d'annulation des passeports des proches des détenus et des suspects, les députés ont souligné la nécessité d'une procédure régulière et de recours administratif.

Suspension des négociations d'adhésion

Le Parlement a recommandé que la Commission et le Conseil de l'Union européenne suspendent officiellement les négociations d'adhésion avec la Turquie.

Rappelant que le budget 2019 au titre duquel les fonds de l'instrument d'aide de préadhésion (IAP) en faveur de la Turquie seront réduits de 146,7 millions d'EUR en raison de la situation des droits de l'homme en Turquie, les députés ont demandé à la Commission d'utiliser les fonds actuellement alloués au titre de l'instrument d'aide de préadhésion (IAP II et le futur IAP III) pour soutenir, par une enveloppe spécifique directement gérée par l'UE, la société civile, les défenseurs des droits de l'homme et les journalistes et pour améliorer les contacts entre peuples.

Tout engagement politique entre l'UE et la Turquie devrait être fondé sur des dispositions de conditionnalité concernant le respect de la démocratie, de l'État de droit et des droits fondamentaux.

Société civile, liberté et indépendance des médias

Les députés se sont déclarés préoccupés par les mesures disproportionnées et arbitraires qui restreignent la liberté d'expression, la liberté des médias et l'accès à l'information. La Turquie est instamment priée de garantir en priorité la liberté des médias et de libérer et d'acquitter immédiatement tous les journalistes illégalement détenus.

D'une manière générale, la Turquie est appelée à :

- libérer tous les défenseurs des droits de l'homme, journalistes et autres personnes qui ont été détenus sur la base d'accusations non fondées, et d'abandonner ces accusations et de leur permettre de mener à bien leur travail sans menace ni entrave en toutes circonstances ;

- protéger les droits fondamentaux de tous les citoyens, y compris les minorités ethniques, religieuses et sexuelles ;

- adopter une loi sur les crimes de haine qui puisse protéger tous les membres des minorités contre les agressions physiques et verbales et satisfaire aux critères de Copenhague pour les pays candidats en ce qui concerne le respect et la protection des minorités.

Le Parlement a invité la Commission et les États membres à renforcer leur protection et leur soutien aux défenseurs des droits de l'homme en danger en Turquie, notamment par des subventions d'urgence.

Union douanière modernisée

Le Parlement a souligné que la modernisation de l'union douanière renforcerait encore les liens déjà forts entre la Turquie et l'UE et maintiendrait l'ancrage économique de la Turquie dans l'UE. Il a estimé qu'il fallait laisser la porte ouverte à la modernisation de l'union douanière de 1995 entre l'UE et la Turquie, afin d'y inclure des domaines pertinents tels que l'agriculture, les services et les marchés publics, qui ne sont actuellement pas couverts.

La Commission est invitée, à cet égard, à :

- entamer les travaux préparatoires en vue de la modernisation de l'union douanière dès que le gouvernement turc attestera qu'il est prêt à entreprendre des réformes sérieuses ;

- inclure une clause sur les droits de l'homme et les libertés fondamentales dans l'union douanière rénovée faisant des droits de l'homme et des libertés fondamentales une conditionnalité essentielle ;

Libéralisation du régime des visas

Étant donné que la libéralisation du régime des visas revêt une grande importance pour les citoyens turcs, en particulier pour les étudiants, les universitaires, les représentants des entreprises et les personnes ayant des liens familiaux dans les États membres de l'UE, les députés ont encouragé la Turquie à respecter pleinement les 72 critères définis dans la feuille de route pour la libéralisation du régime des visas. La révision de la législation turque de lutte contre le terrorisme est une condition essentielle pour garantir les droits et libertés fondamentaux.

Migration

La résolution rappelle le rôle important joué par la Turquie dans la réponse à la crise migratoire résultant de la guerre en Syrie. La Turquie et sa population ont fait preuve d'une grande hospitalité en accueillant plus de 3,5 millions de réfugiés syriens. La Turquie est instamment invitée à respecter le principe de non-refoulement.

OTAN

La Turquie est un membre de longue date de l'alliance de l'OTAN et se trouve à un endroit géostratégique clé pour le maintien de la sécurité régionale et européenne. L'UE et la Turquie continuent de coopérer sur des questions d'importance stratégique (militaire) dans le cadre de l'OTAN. La Turquie est invitée à reprendre sa coopération avec les membres de l'OTAN de l'UE dans le cadre du programme glissant de coopération de l'OTAN avec les pays non membres de l'UE.

Chypre

Se félicitant des efforts déployés sous les auspices du Secrétaire général des Nations Unies pour reprendre les négociations sur la réunification de Chypre, les députés ont réaffirmé leur soutien à un règlement juste, global et viable sur la base d'une fédération bicommunautaire dotée d'une personnalité juridique internationale unique, d'une souveraineté unique, d'une citoyenneté unique et de l'égalité politique entre les deux communautés.

L'UE est invitée à jouer un rôle plus actif pour mener à bien les négociations. Les députés ont appelé la Turquie à commencer à retirer ses troupes de Chypre et à s'abstenir de toute action visant à modifier l'équilibre démographique de l'île par une politique de colonies illégales.

Arménie

Enfin, le Parlement a invité la Turquie et l'Arménie à poursuivre la normalisation de leurs relations, soulignant que l'ouverture de la frontière turco-arménienne pourrait conduire à une amélioration des relations, en particulier en matière de coopération transfrontalière et d'intégration économique.