Ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, y compris la désinformation

2020/2268(INI)

Le Parlement européen a adopté par 552 voix pour, 81 contre et 60 abstentions, une résolution sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, y compris la désinformation.

Nécessité d’une stratégie coordonnée de l’Union contre l’ingérence étrangère

Les députés sont préoccupés par l’incidence croissante et la nature de plus en plus sophistiquée des tentatives d’ingérence et de manipulation de l’information étrangères, essentiellement menées par la Russie et la Chine et visant tous les aspects du fonctionnement démocratique de l’Union européenne et de ses États membres.

La résolution note que la Russie s’est livrée à une désinformation d’une ampleur et d’une malveillance sans précédent à la veille et au cours de la guerre d’agression contre l’Ukraine, ce qui prouve que même des informations peuvent constituer des armes. Le Parlement a salué à cet égard l’interdiction récente dans toute l’UE des chaînes de propagande russes telles que Sputnik TV, RT (anciennement «Russia Today») ainsi que des autres organes russes de désinformation.

Les députés sont préoccupés par les nombreuses lacunes et failles dans la législation et les politiques actuelles au niveau de l’Union et au niveau national qui visent à détecter et prévenir l’ingérence étrangère et à lutter contre celle-ci. Ils s’inquiètent du manque de sensibilisation à la gravité des menaces actuelles que présentent les régimes autoritaires étrangers et d’autres acteurs malveillants, ainsi que du manque de normes et de mesures appropriées et suffisantes pour désigner les responsables d’actes d’ingérence étrangère et pour réagir à ces actes.

La Commission est invitée à proposer une stratégie coordonnée à plusieurs niveaux et intersectorielle ainsi que des ressources financières adéquates visant à doter l’Union et ses États membres de politiques de résilience et de prospection et d’outils de dissuasion appropriés.

Cette stratégie devrait reposer sur:

a) des terminologies et des définitions communes, une méthode commune, des évaluations et des analyses d’impact ex post de la législation adoptée jusqu’à présent, un système de renseignement partagé, ainsi que la compréhension, le suivi, y compris par des alertes précoces, et la connaissance de la situation en ce qui concerne ces enjeux;

b) des politiques concrètes permettant de renforcer la résilience des citoyens européens, conformément aux valeurs démocratiques, y compris par un soutien à la société civile;

c) des capacités de perturbation et de défense adaptées;

d) des réponses diplomatiques et dissuasives pour lutter contre les opérations d’ingérence et d’influence étrangères, y compris les opérations hybrides, par des mesures telles que l’imputation de responsabilité, la désignation des auteurs, des sanctions et des contre-mesures, ainsi que des partenariats mondiaux en vue de l’échange de pratiques et de la promotion de normes internationales en matière de comportement responsable des États.

Les députés ont demandé en particulier à l’Union et à ses États membres d’augmenter les ressources et les moyens alloués aux organismes et aux associations en Europe et dans le monde, tels que les groupes de réflexion et les vérificateurs de faits, chargés de surveiller les menaces, y compris la désinformation, et de sensibiliser à leur gravité.

Domaines de la stratégie

La stratégie devrait reposer sur une approche fondée sur les risques, sur l’ensemble de la société et sur l’ensemble du gouvernement, couvrant notamment les domaines suivants:

- le renforcement de la résilience par la connaissance de la situation, l’éducation aux médias et à l’information, le pluralisme des médias, le journalisme indépendant et l’éducation : des financements public de l’Union devraient être affectés aux vérificateurs de faits indépendants, aux chercheurs, aux médias d’investigation de qualité et aux journalistes d’investigation compétents, ainsi qu’aux ONG qui mènent des recherches et enquêtent sur la manipulation de l’information et l’ingérence;

- l’ingérence étrangère qui tire parti des plateformes : les députés ont préconisé une réglementation et des mesures pour obliger les plateformes, en particulier celles qui présentent un risque systémique pour la société, à faire ce qui leur incombe pour réduire la manipulation de l’information et l’ingérence, et à coopérer avec les autorités compétentes pour tester régulièrement leurs systèmes;

- le renforcement des infrastructures critiques et secteurs stratégiques : les députés ont recommandé de mettre en œuvre une stratégie commune pour répondre aux cyberattaques visant des infrastructures critiques, d’étendre la liste des entités critiques aux systèmes d’éducation et aux infrastructures électorales numériques et de mettre en place un approvisionnement sûr, durable et équitable des matières premières utilisées pour produire des composants et technologies critiques, notamment des batteries;

- la lutte contre l’ingérence étrangère durant les processus électoraux : la protection du processus électoral dans son ensemble doit être érigée en problème de sécurité prioritaire de l’Union et des États membres. La Commission est invitée à élaborer un meilleur cadre d’action pour lutter contre l’ingérence étrangère dans les processus électoraux;

- le financement dissimulé des activités politiques provenant d’acteurs et de donateurs étrangers : la participation à toute activité secrète financée par des acteurs étrangers qui vise à influencer le processus des politiques européennes ou nationales devrait être rendue illégale dans tous les États membres;

- la cybersécurité et la résilience face aux cyberattaques : il conviendrait d’augmenter les investissements dans les capacités numériques stratégiques de l’Union et ses compétences de détection des ingérences étrangères ainsi que de lutte contre ces dernières, telles que l’intelligence artificielle, la communication sécurisée et les infrastructures de données et en nuage. Les députés ont condamné l’utilisation massive par des acteurs étrangers des programmes de surveillance illicites et à grande échelle, tels que Pegasus, pour cibler des journalistes, des militants des droits de l’homme, des universitaires et des responsables politiques, y compris des chefs d’État européens;

- l’ingérence d’acteurs étrangers par le recrutement de personnalités haut placées, les diasporas nationales, les universités et les manifestations culturelles : les députés ont condamné tous les types d’accaparement des élites et la technique de cooptation de fonctionnaires de haut niveau et d’anciens responsables politiques de l’Union utilisés par des entreprises étrangères entretenant des relations avec des gouvernements qui se livrent à des actions d’ingérence contre l’Union.  Ils sont préoccupés par les cas de financement dissimulé de recherches menées en Europe, ainsi que par les tentatives de la Chine de débaucher des talents au moyen des bourses des instituts Confucius;

- la dissuasion, l’imputation de responsabilité et les contre-mesures collectives, dont les sanctions : les députés ont demandé de prendre de nouvelles mesures contre l’ingérence étrangère, en particulier quand elle prend la forme de campagnes de désinformation à grande échelle, de menaces hybrides et de guerres hybrides, notamment en mettant en place un régime de sanctions;

- une coopération mondiale multilatérale au sein des enceintes internationales concernées entre pays partageant les mêmes valeurs sous la forme d’un partenariat fondé sur une conception commune et des définitions partagées, en vue d’établir des normes et des principes internationaux.

La Commission est invitée à envisager, avec le SEAE, de créer un centre européen de lutte contre les menaces d’ingérence et de l’intégrité de l’information indépendant et doté de ressources suffisantes, qui aurait pour mission de repérer, d’analyser et de documenter les opérations de manipulation de l’information et les menaces d’ingérence dirigées contre l’Union dans son ensemble.