2020: un horizon pour les femmes en Turquie  
2011/2066(INI) - 22/05/2012  

Le Parlement européen a adopté par 590 voix pour, 28 voix contre et 53 abstentions, une résolution sur les femmes en Turquie à l'horizon 2020.

Le Parlement constate que la Turquie réalise des progrès limités dans l'amélioration et la mise en œuvre du cadre législatif visant à assurer une participation égalitaire des femmes à la vie sociale, économique et politique. C’est la raison pour laquelle, il propose une série d’actions destinées à renforcer la position des femmes dans ce pays.

Législation, coordination et société civile : dans le domaine législatif, le Parlement appelle la Turquie à défendre et à renforcer les principes d'égalité et les droits des femmes en adaptant son cadre législatif, en ce compris l'élaboration d'une nouvelle constitution.

Constatant les importantes disparités régionales dans l'approche des droits des femmes (notamment, les inégalités auxquelles se heurtent les femmes d'origine kurde), il demande au gouvernement turc d'engager des réformes avec les conseils locaux pour faire en sorte que toutes les femmes, y compris les femmes kurdes, jouissent de droits égaux.

Si des améliorations ont en outre pu être constatées dans plusieurs domaines, des mesures sont encore nécessaires dans les domaines suivants :

  • adopter de nouvelles stratégies, avec la participation active et non discriminatoire de la société civile, afin de garantir la réalisation de l'égalité totale, notamment l'élimination des disparités salariales entre les sexes ;
  • mettre en pratique la législation existante dans tout le pays ;
  • améliorer la collecte de statistiques liées aux genres pour suivre les évolutions dans la mise en œuvre de la législation ou surveiller les lacunes du droit national en la matière.

Le Parlement s'interroge en particulier des avancées accomplies par le gouvernement turc dans la reconnaissance du droit des LGBT dans la vie publique.

Violence visant les femmes : il ressort des statistiques officielles turques que 39% des femmes turques ont connu la violence physique à un moment de leur vie. Vu la recrudescence et la gravité de ce type de violence (crimes d'honneur, mariages précoces et forcés,…), le Parlement demande au gouvernement turc de prendre des mesures législatives, juridiques et financières plus efficaces pour prévenir ce type de crimes et punir l’indifférence de la famille qui approuve silencieusement la violence faite aux femmes. Il convient également de mener une enquête approfondie sur le phénomène du "suicide d'honneur" (femmes qui finissent par se suicider sous la pression de leur famille et de leur entourage). D’une manière générale, il estime que toute violence visant les femmes est inacceptable et appelle la Turquie à adopter une politique de tolérance zéro à l'égard de la violence visant les femmes.

Parmi les autres mesures préconisées, le Parlement suggère :

  • l’introduction de sanctions dissuasives et sérieuses pour les auteurs de violences ;
  • la formation des personnels de police, de santé, de justice, des membres du culte et des autres personnes exerçant des fonctions officielles en matière de prévention de la violence domestique ;
  • la mise en place d’un mécanisme permettant de dépister et de poursuivre les personnes qui s'abstiennent de protéger et d'aider les victimes de violence ;
  • la multiplication, dans tout le pays, de services spécialisés d’aide aux victimes tel que celui existant à Ankara ;
  • l’octroi d’une assistance juridique aux personnes victimes ;
  • la multiplication de refuges dans le pays afin d’atteindre l'objectif de créer un refuge dans toute commune comptant au moins 50.000 habitants ;
  • la lutte contre l'exploitation sexuelle, les abus sexuels, la violence domestique, la pauvreté, l'analphabétisme et l'exploitation des petites filles.

Pour lutter contre les mariages forcés, le Parlement demande au gouvernement turc de les criminaliser et, par le biais de campagnes d'information, d'attirer l'attention des femmes et des hommes sur le droit au libre choix de leur partenaire. Il faut également mieux informer les élèves et leurs parents de l'illégalité des mariages forcés. Au passage, le Parlement s’inquiète du statut inférieur des femmes célibataires, des divorcées, des femmes contractant uniquement un mariage religieux, c'est-à-dire que leur mariage n'a pas de statut juridique, et des femmes originaires d'un groupe minoritaire.

Éducation : le Parlement souligne l'importance de l'éducation pour rendre possible l'autonomie des femmes et faire prendre en compte l'égalité à tous les niveaux d'éducation. Il se félicite de l'augmentation du taux de scolarisation des petites filles dans l'enseignement primaire et de la suppression virtuelle du fossé entre les genres dans ce secteur, mais regrette que, dans l'enseignement secondaire, le fossé se soit légèrement creusé.

Le Parlement demande en particulier de :

  • renforcer les services d'accueil des enfants afin de permettre aux femmes de travailler ;
  • mettre en œuvre des projets d'atténuation des risques sociaux (octroi de prestations sous conditions de scolarisation, etc.) et lutter contre le décrochage scolaire ;
  • augmenter le pourcentage de préscolarisation qui reste très faible pour les enfants de 0 à 5 ans;
  • multiplier les campagnes de sensibilisation pour éliminer l'analphabétisme et la pauvreté parmi les millions de femmes, en particulier celles d'origine kurde, les migrantes et les roms, et accorder une attention particulière aux femmes vivant en zone rurale;
  • lutter contre les images et les formules sexistes dans les manuels scolaires, mais aussi dans la société, en général.

Pour garantir la participation des filles à l'éducation primaire obligatoire et éviter qu'elles ne soient privées de la possibilité de fréquenter l'école ou d'être forcées de se marier précocement, le Parlement estime qu’il est essentiel que, l'ensemble du système éducatif primaire officiel reste unitaire et ne crée pas de fossé dans le système d'enseignement, susceptible d'entraîner le décrochage scolaire chez les filles, en particulier dans les zones rurales.

Participation au marché du travail : le Parlement souligne la participation très faible des femmes au marché du travail turc. Il invite dès lors le gouvernement turc à affecter davantage de moyens financiers à la réintégration professionnelle des femmes au chômage. Les financements communautaires octroyés à la Turquie devraient également être mobilisés dans ce sens.

D’autres mesures sont suggérées, telles que : i) la garantie de meilleures conditions de travail, un salaire égal pour un travail égal, l'apprentissage tout au long de la vie, des horaires de travail flexibles et la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, ii) la lutte contre toutes les formes de discrimination au travail, iii) la participation des femmes aux organisations syndicales, iv) la lutte contre l'économie souterraine qui touche prioritairement les femmes.

En ce qui concerne le congé de maternité, le Parlement se réjouit de constater que la Turquie vient d'améliorer sa législation réglementant le congé de maternité (porté de 12 à 16 semaines). Cet allongement devrait maintenant être suivi d'une augmentation de salaire, afin de mieux garantir que les familles et les femmes ne soient pas pénalisées financièrement parce qu'elles ont des enfants. Le Parlement déplore également le fait que le congé de paternité ne soit prévu que pour les fonctionnaires, et pas pour les autres travailleurs. Il fait observer qu'un congé parental largement applicable est indispensable pour faire en sorte que les parents partagent les droits et les responsabilités en matière de garde des enfants et pour diminuer les inégalités sur le marché du travail. Il invite dès lors le gouvernement turc à instaurer un dispositif de congé parental rémunéré pour tous les travailleurs.

Participation politique : si le Parlement se félicite de l'augmentation du nombre de députées au parlement turc (passé de 9,1% en 2007 à 14,3% en 2011), il estime que ce pourcentage reste faible et appelle à la mise en place de quotas contraignants assurant une représentation équitable des femmes sur les listes électorales. Il convient également de revoir la loi électorale en vue d'une participation égale et démocratique des hommes et des femmes en politique. Tous les partis politiques sont également appelés à faire en sorte que cette situation se modifie pour les élections locales de 2014. Ainsi, il appelle à ce que les municipalités soient représentées par plus de femmes puisque 1% seulement des mairies sont représentées par des femmes.

Horizon 2020 : le Parlement rappelle que la Turquie est un pays candidat à l'adhésion et qu’à ce titre, ce pays négocie actuellement plusieurs chapitres en vue de son adhésion à l’UE. Il souligne que l'agenda positif mis en place par la Commission pour compléter les négociations d'adhésion avec la Turquie devrait servir de plateforme pour promouvoir les droits des femmes et l'égalité entre les sexes. Il invite dès lors la Commission à veiller à ce que la prise en compte de la dimension d'égalité hommes/femmes soit assurée au sein de tous les groupes de travail de l'agenda positif. Il appelle également à faciliter l'ouverture du chapitre 23 des négociations d'adhésion concernant les aspects judiciaires et les droits fondamentaux, pour appuyer les réformes de la Turquie concernant les droits des femmes.

Il demande en particulier à ce pays de redoubler d'efforts pour mener des réformes de grande ampleur pour satisfaire aux critères de Copenhague, dans l'intérêt de sa propre modernisation, et établir un climat de compréhension mutuelle et de respect avec l'ensemble des 27 États membres de l'Union, au bénéfice des femmes de Turquie.

Il invite également ce pays à :

  • remplir toutes ses obligations découlant de l'accord d'association CE-Turquie et de son protocole additionnel (toujours pas mis en œuvre pour la 6ème année consécutive) ;
  • mettre en œuvre tous les éléments constitutifs de l'égalité entre hommes et femmes ;
  • organiser des campagnes de sensibilisation ciblées sur l'ensemble de la société et centrées sur les droits des femmes et l'égalité entre les sexes et la prévention de la violence ;
  • promouvoir la place des partenaires sociaux dans la promotion du droit des femmes ;
  • mettre en place, à tous les niveaux du système éducatif, des programmes obligatoires promouvant l'égalité des genres et la tolérance ;
  • contribuer à un changement de mentalité en associant les hommes au débat ;
  • accorder une attention particulière à l'inclusion sociale et à l'autonomie des femmes en milieu rural, des chômeuses et des femmes en situation de pauvreté ;
  • lutter contre les stéréotypes sexistes dans les médias.

Enfin, le Parlement demande une budgétisation prenant en compte la dimension égalitaire en Turquie car aucune réforme ne pourra être mise en œuvre sans ressources suffisantes.