Exploitation sexuelle et prostitution et conséquences sur l'égalité entre les femmes et les hommes  
2013/2103(INI) - 26/02/2014  

Le Parlement européen adopté par 343 voix pour, 139 voix contre et 105 abstentions, une résolution sur l'exploitation sexuelle et la prostitution et leurs conséquences sur l'égalité entre les hommes et les femmes.

La prostitution et la prostitution forcée sont des phénomènes comportant une dimension de genre et une dimension internationale, puisqu'entre 40 et 42 millions de personnes sont concernées dans le monde entier, la grande majorité des personnes prostituées étant des femmes et des filles.

Les données de l'Union européenne montrent que la politique actuelle de lutte contre la traite des êtres humains n'est pas efficace et qu'il existe actuellement un problème en ce qui concerne l'identification et la poursuite des trafiquants, raison pour laquelle il est nécessaire de renforcer les enquêtes sur les dossiers de traite à des fins sexuelles ainsi que les poursuites et les condamnations à l'encontre des trafiquants d'êtres humains.

Dans un amendement adopté en Plénière, le Parlement reconnaît que la prostitution, la prostitution forcée et l'exploitation sexuelle sont des questions étroitement liées aux genres, qu'elles sont contraires aux principes régissant les droits de l'homme, parmi lesquels l'égalité entre hommes et femmes, et sont par conséquent contraires aux principes de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, notamment l'objectif et le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes.

Le Parlement souligne par ailleurs que les droits en matière de santé de toutes les femmes doivent être respectés, en ce inclus le droit de disposer de leur corps et de leur sexualité, sans coercition, sans discrimination et sans violence. Il souligne en particulier que la prostitution et la traite des êtres humains sont liées à plusieurs égards et reconnaît que la prostitution, tant à l'échelle mondiale qu'en Europe, alimente la traite des femmes et des filles vulnérables, dont une grande majorité ont entre 13 et 25 ans.

Le Parlement indique en outre que, comme le montrent les données de la Commission, la majorité (62%) d'entre elles sont victimes de la traite aux fins d'exploitation sexuelle, que les femmes et les filles représentent 96% des victimes recensées et présumées et que la part des victimes originaires de pays extra-européens est en hausse depuis quelques années.

L'absence de données fiables, précises et comparables entre pays, due en majorité au caractère illégal et souvent invisible de la prostitution et de la traite des êtres humains, maintient en outre l'opacité du marché de la prostitution et entrave la prise de décisions politiques.

Prostitution et santé publique : le Parlement souligne que la prostitution est aussi un problème de santé publique, compte tenu de ses effets préjudiciables sur la santé des personnes qui se prostituent, lesquelles sont davantage susceptibles de souffrir de traumatismes sexuels, physiques et mentaux, d'addiction à l'alcool et aux stupéfiants et de perte d'estime de soi, et d'être confrontées à un taux de mortalité supérieur à celui de la moyenne de la population. Il rappelle que de nombreux acheteurs de prestations sexuelles demandent des rapports sexuels commerciaux non protégés, ce qui accroît le risque d'effet préjudiciable sur la santé, aussi bien des personnes qui se prostituent que des acheteurs.

La Plénière reconnaît en outre que la prostitution et la prostitution forcée peuvent avoir une incidence sur la violence contre les femmes en général dans la mesure où la recherche sur les clients de services sexuels montre que les hommes qui achètent du sexe ont une image dégradante de la femme. Le Parlement suggère par conséquent aux autorités nationales compétentes que l'interdiction d'achat de services sexuels soit assortie d'une campagne de sensibilisation destinée aux hommes.

Parallèlement, les États membres sont invités à :

  • instaurer, conformément au droit interne, des consultations de conseil et de santé régulières et confidentielles pour les personnes prostituées en dehors des lieux de prostitution ;
  • échanger des bonnes pratiques sur les manières de réduire les dangers associés à la prostitution de rue ;
  • combattre la prostitution infantile (impliquant des personnes de moins de 18 ans) le plus énergiquement possible car il s'agit de la forme la plus grave de prostitution forcée ;
  • réaliser, dans les établissements scolaires, des campagnes d'information et de prévention spécifiques adaptées en fonction de l'âge des participants ;
  • donner à la police et aux autorités compétentes, conformément au droit interne, le droit d'entrer dans les endroits où la prostitution est pratiquée et d'y pratiquer des contrôles indépendamment de tout motif ;
  • transposer rapidement dans leur législation nationale la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes, surtout en ce qui concerne la protection des victimes ;
  • encourager les autorités policières à coopérer avec les victimes et les inciter à témoigner ;
  • encourager l'existence de services spécialisés au sein de la police et employer des femmes policières, insistant sur l’amélioration de la coopération judiciaire entre les États membres dans ce domaine ;
  • résoudre les problèmes sociaux fondamentaux contraignant les hommes, les femmes et les enfants à se prostituer (tels que la pauvreté, l’exclusion sociale) ;
  • évaluer tant les effets positifs que les effets négatifs de la criminalisation de l'achat de services sexuels sur la réduction de la prostitution et de la traite des êtres humains ;
  • mettre en place des stratégies de réduction de la demande ;
  • prendre des mesures décourageant la pratique du tourisme sexuel à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Union.

Cesser de considérer les prostituées comme des criminelles : le Parlement appelle les États membres à s'abstenir de considérer les prostituées comme des criminelles et de les sanctionner, et à développer des programmes visant à assister les prostituées/les travailleurs du sexe à quitter la profession s'ils le souhaitent. Il demande dès lors à tous les États membres d’abroger la législation répressive contre les personnes prostituées et met en garde contre toute volonté d'interpréter la liberté sexuelle comme une autorisation de mépriser les femmes.

Le modèle nordique : la résolution considère que la manière la plus efficace de lutter contre la traite des femmes et des filles à des fins d'exploitation sexuelle et d'améliorer l'égalité entre les hommes et les femmes est le modèle mis en œuvre en Suède, en Islande et en Norvège (que l'on appelle le modèle nordique). Ce modèle est actuellement examiné par plusieurs pays européens, où l'achat de services sexuels constitue un acte criminel, mais pas les services des personnes prostituées.

Puisque la prostitution constitue un problème transfrontalier, il incombe également aux États membres de veiller à lutter contre l'achat de services sexuels en dehors de leur territoire.

Le Parlement souligne en outre que des données confirment l'effet dissuasif du modèle nordique sur la traite en Suède, où la prostitution et le trafic sexuel n'ont pas augmenté, et que ce modèle bénéficie du soutien croissant de la population, en particulier des jeunes.

Le Parlement estime par ailleurs que considérer la prostitution comme un "travail sexuel" légal, dépénaliser l'industrie du sexe en général et légaliser le proxénétisme n'est pas une solution qui permet de mettre les femmes et les filles vulnérables à l'abri de la violence et de l'exploitation, et produit l'effet inverse en leur faisant courir le risque de subir un niveau de violence plus élevé, tout en encourageant la croissance du marché de la prostitution, et donc du nombre de femmes et de filles persécutées.

Prostitution et crise économique : le Parlement attire l'attention des autorités nationales sur l'effet de la récession économique sur le nombre croissant de femmes et de filles, y compris les femmes migrantes, forcées à entrer dans la prostitution. Il rappelle que les problèmes économiques et la pauvreté sont des causes majeures de prostitution chez les jeunes femmes et les filles et redemande dès lors :

  • des stratégies préventives sexospécifiques ;
  • des campagnes nationales et européennes ciblant spécifiquement les communautés socialement exclues ainsi que les personnes en situation de vulnérabilité accrue ;
  • des mesures de réduction de la pauvreté et de sensibilisation de ceux qui achètent comme de ceux qui proposent des prestations sexuelles, notamment chez les migrantes.

Enfin, la résolution prie la Commission : i) d'évaluer les conséquences qu'a entraînées à ce jour le cadre juridique européen destiné à éliminer la traite à des fins d'exploitation sexuelle, ii) de mobiliser les moyens et les outils nécessaires pour lutter contre la traite et l'exploitation sexuelle et pour faire reculer la prostitution ; iii) d'entreprendre des recherches supplémentaires sur les formes que prennent la prostitution, la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle ainsi que la progression du tourisme sexuel dans l'Union européenne, ainsi que iv) de favoriser l'échange de bonnes pratiques entre États membres.

La Commission devrait continuer à financer des projets et des programmes de lutte contre la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle. Le Service européen pour l'action extérieure devrait également prendre des mesures pour mettre fin à la pratique de la prostitution dans les zones de conflit où des forces militaires de l'Union sont présentes.

Á noter qu’une proposition de résolution de remplacement présentée par les groupes ECR et ALDE ainsi que par plusieurs députés du groupe Verts/ALE (Ulrike LUNACEK (AT), Marije CORNELISSEN (NL), Raül ROMEVA i RUEDA (ES) et Iñaki IRAZABALBEITIA FERNÁNDEZ (ES)) a été rejetée en Plénière.