Aspects liés à l'emploi et dimension sociale du rôle et des activités de la troïka (BCE, Commission et FMI) dans les pays du programme de la zone euro  
2014/2007(INI) - 13/03/2014  

Le Parlement européen a adopté par 408 voix pour, 135 voix contre et 63 abstentions, une résolution sur l'emploi et les aspects sociaux du rôle et des opérations de la Troïka (BCE, Commission et FMI) dans les pays du programme de la zone euro.

Le Parlement constate la crise économique et financière sans précédent qui a mis en évidence la fragilité des finances publiques dans certains États membres. Il constate en particulier les mesures des programmes d'ajustement économique adoptées en réponse à la situation de la Grèce (mai 2010 et mars 2012), de l'Irlande (décembre 2010), du Portugal (mai 2011) et de Chypre (juin 2013) qui ont eu des répercussions directes et indirectes sur le niveau d'emploi et sur les conditions de vie de nombreuses personnes.

Absence du Parlement européen dans la mise en place des programmes d’ajustement : faisant l’état des lieux de la situation de ces pays et notamment du niveau de chômage qui touche ces États membres (la situation étant particulièrement inquiétante en Grèce, où le taux de chômage des jeunes dépasse 50%, au Portugal et en Irlande, où il excédait les 30% en 2012, ou encore à Chypre, où il avoisine 26,4% même si ces chiffres s’améliorent après cinq années de crise), le Parlement regrette que les programmes d’ajustement qui ont été proposés et mis en œuvre dans ces pays aient été initiés en ne tenant aucun compte de la position du Parlement européen. Ce dernier a été en effet entièrement tenu à l'écart des différentes phases des programmes, à savoir la phase préparatoire, l'élaboration des mandats et le suivi des résultats obtenus par les programmes et les mesures associées. Bien qu'aucune disposition contraignante ne rende obligatoire l'association du Parlement aux travaux faute de base juridique, le Parlement estime que l'absence des institutions européennes et de mécanismes financiers européens ont conduit à improviser les programmes, ce qui s'est traduit par des accords financiers et institutionnels conclus en dehors de la méthode communautaire. Il relève, de même, que la Banque centrale européenne a pris des décisions qui ne relevaient pas de son mandat.

Dans ce contexte, le Parlement appelle les seules des institutions réellement responsables sur le plan démocratique à diriger le processus politique d'élaboration et de mise en œuvre des programmes d'ajustement pour les pays confrontés à de graves problèmes financiers.

Il déplore au passage que les programmes en question aient été élaborés sans disposer des moyens suffisants pour évaluer leurs répercussions par des études d'impact ou une coordination avec le comité de l'emploi, le comité de la protection sociale, le Conseil emploi, politique sociale, santé et consommateurs (EPSCO) ou le commissaire chargé de l'emploi et des affaires sociales. Il regrette en outre que l'OIT n'ait pas été consultée, pas plus que les organes consultatifs institués par les traités, et notamment le Comité économique et social et le Comité des régions, malgré les conséquences sociales importantes du dossier.

Enfin, le Parlement déplore que les conditions imposées en échange de l'assistance financière aient menacé la réalisation des objectifs sociaux de l'Union dans les États membres concernés, notamment parce que:

  • l'Union ne disposait ni d'une préparation suffisante ni des instruments appropriés pour faire face aux problèmes auxquels elle a été confrontée ;
  • la dégradation de la situation économique et sociale n'a pas été détectée à temps et la période disponible pour leur mise en œuvre était trop réduite ;
  • les mesures envisagées auraient dû tenir compte des groupes vulnérables, de la misère et des inégalités dans le domaine de la santé.

Le Parlement fait par ailleurs une série d’autres constatations qui peuvent se résumer comme suit :

- en matière d’emploi, le Parlement estime que les écarts de taux de chômage, en particulier dans le cas de la jeune génération, pourraient causer des dégâts structurels sur le marché du travail dans les quatre pays concernés, entraver leur capacité de redressement économique, provoquer une émigration involontaire, laquelle ne fera qu'exacerber les effets du phénomène de la fuite des cerveaux, et accroître les écarts persistants entre les États membres pourvoyeurs d'emploi et ceux pourvoyeurs d'une main-d'œuvre à faible coût ;

- en matière d’exclusion sociale, le Parlement s'inquiète du fait que, lors de l'élaboration et de la mise en œuvre des programmes d'ajustement économique, l'attention adéquate n'a pas été accordée aux répercussions des politiques économiques sur l'emploi et leurs implications sociales. Il invite la Commission à prendre en compte les indicateurs sociaux en vue de l'adaptation des programmes d'ajustement économique et dans le cadre du remplacement des mesures recommandées par pays, afin d'assurer de maintenir les valeurs sociales et les principes fondamentaux de l'UE ;

- en matière de dialogue social, le Parlement réaffirme la nécessité de mobiliser les partenaires sociaux dans l'élaboration des programmes. Il condamne notamment la remise en question du principe de représentation collective dans certains pays.

Recommandations à la Commission : face à ces constats et à la dégradation de l’emploi et à la disparition de PME, cause majeure de la faible reprise dans ces pays et face aussi à l’appauvrissement et à l’exclusion sociale en hausse dans les États membres visés et au caractère structurel de la crise, le Parlement invite la Commission à réaliser une étude détaillée des conséquences économiques et sociales de la crise économique et financière et des programmes d'ajustement mis en œuvre pour y remédier dans les quatre pays concernés, afin d'en appréhender avec précision les effets à court et à long terme.

Il invite :

  • la Commission à prier l'OIT et le Conseil de l'Europe à rédiger des rapports sur les éventuelles mesures correctrices et d'incitation nécessaires ;
  • l'Union européenne, compte tenu des sacrifices consentis par ces pays, à apporter son aide, au terme de l'évaluation et en mobilisant des ressources financières suffisantes le cas échéant, au rétablissement des normes de protection sociale, à la relance de la lutte contre la pauvreté, aux services éducatifs, notamment ceux visant les enfants présentant des besoins particuliers et les personnes en situation de handicap.

Le Parlement exige en particulier le respect des obligations juridiques nées des traités et de la charte des droits fondamentaux, dès lors que le non-respect de celles-ci constitue une violation du droit primaire de l'Union européenne.

Il demande à la troïka et aux États membres concernés de mettre un terme aux programmes dès que possible et d'introduire des mécanismes de gestion de crise qui permettraient à l'ensemble des institutions de l'Union, y compris le Parlement, d'atteindre les objectifs sociaux et de mettre en place les politiques associées – dont celles ayant trait aux droits individuels et collectifs des personnes les plus exposées au risque d'exclusion sociale – visés dans les traités et inscrits dans les accords conclus avec les partenaires sociaux ou dans d'autres obligations contractées à l'échelle internationale. Il réclame à cet égard une transparence accrue et une plus grande implication politique dans l'élaboration et la mise en œuvre des programmes d'ajustement. Il invite en particulier la Commission et le Conseil à prêter aux déséquilibres sociaux et à la lutte contre ceux-ci la même attention que celle qu'ils accordent aux déséquilibres macroéconomiques, et à faire en sorte que les mesures d'ajustement poursuivent un objectif de justice sociale. De même, il recommande à la Commission et aux États membres de ne pas considérer les dépenses en matière de santé publique et d'éducation comme étant susceptibles de faire l'objet de coupes, mais comme des investissements publics dans l'avenir du pays.

Le Parlement engage également le Conseil et la Commission à donner la priorité à la création d'emplois et au soutien à l'entrepreneuriat. Il attend l’organisation prochaine d’une réunion des ministres de l'Eurogroupe chargés de l'emploi et des affaires sociales avant un sommet européen à cet égard.

Vers des programmes de relance : une fois passé le moment le plus difficile de la crise financière, le Parlement demande que les pays concernés par les programmes, conjointement avec les institutions de l'Union, mettent en place des programmes de relance de l'emploi visant à restaurer suffisamment l'économie pour revenir à la situation d'avant les programmes d’ajustement en tenant compte de :

  • la nécessité de rétablir rapidement le système d'octroi de crédits, en particulier pour les PME ;
  • le besoin de créer des conditions favorables pour les entreprises ;
  • l'exploitation optimale des possibilités offertes par le Fonds social européen ;
  • une réelle politique de l'emploi prévoyant des mesures actives pour le marché du travail ;
  • des services publics pour l'emploi à l'échelle européenne et de qualité ;
  • une garantie européenne d'emploi pour les jeunes ;
  • la nécessité d'assurer l'équité de l'impact de la répartition des revenus ;
  • un programme destiné aux ménages sans emploi, et une gestion budgétaire plus prudente.

Sont encore réclamées : i) un rapport sur les progrès réalisés vers l'accomplissement des objectifs de la stratégie Europe 2020, en accordant une attention particulière à l'absence de progrès dans les pays des programmes ; ii) des études d'incidences sociales avant d'imposer des réformes majeures dans les pays concernés par les programmes et l’examen de l'effet de contagion de ces mesures, par exemple sur la pauvreté, sur l'exclusion sociale, sur le taux de criminalité et sur la xénophobie ; iii) des mesures d'urgence afin d'empêcher la progression du nombre de sans-abri dans les pays concernés ; iv) un rapport d’application tel que prévu par le règlement (UE) n° 472/2013 sur la gouvernance économique ; v)  la consultation de la société civile, des associations de patients et des organisations professionnelles en ce qui concerne les futures mesures relatives à la santé prévues dans les programmes d'ajustement.

Enfin, le Parlement demande que les futures réformes des États membres en matière d'emploi englobent le critère de flexisécurité, en tenant compte d'autres éléments tels que les prix de l'énergie, la concurrence déloyale, le dumping social, un système financier équitable et tout ce qui contribue au développement de l’économie réelle en général.