La commission des droits de la femme et de l'égalité des genres a adopté à lunanimité le rapport dEmine BOZKURT (S&D, NL) sur les femmes en Turquie à l'horizon 2020.
Les députés constatent que la Turquie réalise des progrès limités dans l'amélioration et la mise en uvre du cadre législatif visant à assurer une participation égalitaire des femmes à la vie sociale, économique et politique. Cest la raison pour laquelle, ils proposent une série dactions destinées à renforcer la position des femmes dans ce pays.
Législation, coordination et société civile : dans le domaine législatif, les députés appellent tout dabord la Turquie à défendre et à renforcer les principes d'égalité et les droits des femmes en adaptant son cadre législatif, en ce compris l'élaboration envisagée d'une nouvelle constitution.
Constatant les importantes disparités régionales dans l'approche des droits des femmes (notamment, les inégalités auxquelles se heurtent les femmes d'origine kurde), les députés demandent au gouvernement turc d'engager des réformes avec les conseils locaux pour faire en sorte que toutes les femmes, y compris les femmes kurdes, jouissent de droits égaux.
Si des améliorations ont pu être constatées dans plusieurs domaines, des mesures sont encore nécessaires dans les domaines suivants :
- adopter de nouvelles stratégies, avec la participation active et non discriminatoire de la société civile, afin de garantir la réalisation de l'égalité totale, notamment l'élimination des disparités salariales entre les sexes ;
- mettre en pratique la législation existante dans tout le pays ;
- améliorer la collecte de statistiques liées aux genres pour suivre les évolutions dans la mise en uvre de la législation ou surveiller les lacunes du droit national en la matière ;
- renforcer la reconnaissance des droits des LGBT en Turquie.
Violence visant les femmes : il ressort des statistiques officielles turques que 39% des femmes turques ont connu la violence physique à un moment de leur vie. Vu la recrudescence et la gravité de ce type de violence (crimes d'honneur, mariages précoces et forcés, ) les députés demandent au gouvernement turc de prendre des mesures législatives, juridiques et financières plus efficaces pour prévenir ce type de crimes et punir lindifférence de la famille qui approuve silencieusement la violence faite aux femmes. Il convient également de mener une enquête approfondie sur le phénomène du "suicide d'honneur" (femmes qui finissent par se suicider sous la pression de leur famille et de leur entourage). Dune manière générale, les députés estiment que toute violence visant les femmes est inacceptable et appellent la Turquie à adopter une politique de tolérance zéro à l'égard de la violence visant les femmes.
Parmi les autres mesures préconisées, les députés suggèrent :
- lintroduction de sanctions dissuasives et sérieuses pour les auteurs de violences ;
- la formation des personnels de police, de santé, de justice, des membres du culte et des autres personnes exerçant des fonctions officielles en matière de prévention de la violence domestique ;
- la mise en place dun mécanisme permettant de dépister et de poursuivre les personnes qui s'abstiennent de protéger et d'aider les victimes de violence ;
- la multiplication, dans tout le pays, de services spécialisés daide aux victimes tel que celui existant à Ankara ;
- loctroi dune assistance juridique aux personnes victimes ;
- la multiplication de refuges dans le pays afin datteindre l'objectif de créer un refuge dans toute commune comptant au moins 50.000 habitants ;
- la criminalisation des mariages forcés ;
- la scolarisation de tous les enfants, y compris des filles ;
- la lutte contre l'exploitation sexuelle, les abus sexuels, la violence domestique, la pauvreté, l'analphabétisme et l'exploitation des petites filles ;
- le renforcement des services d'accueil des enfants afin de permettre aux femmes de travailler ;
- la mise en uvre de projets d'atténuation des risques sociaux (octroi de prestations sous conditions de scolarisation, etc.) et la lutte contre le décrochage scolaire ;
- la lutte contre les images et les formules sexistes dans les manuels scolaires, mais aussi dans la société, en général.
Pour garantir la participation des filles à l'éducation primaire obligatoire et éviter qu'elles ne soient déscolarisées ou soient forcées de se marier précocement, les députés estiment quil est essentiel que l'ensemble du système éducatif primaire officiel reste unitaire et ne puisse être remplacé par l'enseignement libre ou l'enseignement à distance. Les députés se disent dès lors inquiets de linstauration de la possibilité d'opter pour des solutions d'apprentissage libre au terme des quatre premières années d'éducation primaire.
Participation au marché du travail : les députés soulignent la participation très faible des femmes au marché du travail turc. Ils invitent dès lors le gouvernement turc à affecter davantage de moyens financiers à la réintégration professionnelle des femmes au chômage. Les financements communautaires octroyés à la Turquie devraient également être mobilisés dans ce sens.
Dautres mesures sont suggérées, telles que : i) la garantie de meilleures conditions de travail, un salaire égal pour un travail égal, l'apprentissage tout au long de la vie, des horaires de travail flexibles et la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, ii) la mise en place dun congé de paternité effectif pour tous les pères et non pas seulement pour les fonctionnaires, iii) la lutte contre toutes les formes de discrimination au travail, iv) la participation des femmes aux organisations syndicales, v) la lutte contre l'économie souterraine qui touche prioritairement les femmes.
Participation politique : si les députés se félicitent de l'augmentation du nombre de députées au parlement turc (passé de 9,1% en 2007 à 14,3% en 2011) ils estiment que ce pourcentage reste faible et appellent à la mise en place de quotas contraignants assurant une représentation équitable des femmes sur les listes électorales. Il convient également de revoir la loi électorale en vue d'une participation égale et démocratique des hommes et des femmes en politique. Tous les partis politiques sont également appelés à faire en sorte que cette situation se modifie pour les élections locales de 2014. Ainsi, ils appellent à ce que les municipalités soient représentées par plus de femmes puisque 1% seulement des mairies sont représentées par des femmes.
Horizon 2020 : les députés rappellent que la Turquie est un pays candidat à l'adhésion et quà ce titre, ce pays négocie actuellement plusieurs chapitres en vue de son adhésion à lUE. Cest la raison pour laquelle les députés demandent à la Commission d'accorder une place centrale aux droits des femmes dans les négociations avec la Turquie. Ils demandent en particulier à ce pays de redoubler d'efforts pour mener des réformes de grande ampleur, satisfaire aux critères de Copenhague, dans l'intérêt de sa propre modernisation, et établir un climat de compréhension mutuelle et de respect avec l'ensemble des 27 États membres de l'Union, afin de permettre un échange des bonnes pratiques en matière d'égalité, avec tous, au bénéfice des femmes de Turquie.
Ils invitent également ce pays à :
- remplir toutes ses obligations découlant de l'accord d'association CE-Turquie et de son protocole additionnel (toujours pas mis en uvre pour la 6ème année consécutive) ;
- mettre en uvre tous les éléments constitutifs de l'égalité entre hommes et femmes ;
- organiser des campagnes de sensibilisation ciblées sur l'ensemble de la société et centrées sur les droits des femmes et l'égalité entre les sexes et la prévention de la violence ;
- promouvoir la place des partenaires sociaux dans la promotion du droit des femmes ;
- mettre en place, à tous les niveaux du système éducatif, des programmes obligatoires promouvant l'égalité des genres et la tolérance ;
- contribuer à un changement de mentalité en associant les hommes au débat ;
- accorder une attention particulière à l'inclusion sociale et à l'autonomie des femmes en milieu rural, des chômeuses et des femmes en situation de pauvreté ;
- lutter contre les stéréotypes sexistes dans les médias.
Enfin, les députés demandent une budgétisation prenant en compte la dimension égalitaire en Turquie car aucune réforme ne pourra être mise en uvre sans ressources suffisantes.