Utilisation alléguée de pays européens par la CIA pour le transport et la détention illégale de prisonniers  
2006/2200(INI) - 14/02/2007  

Le Parlement européen a adopté par 382 voix pour, 256 contre et 74 abstentions, le rapport final de la commission temporaire sur l’utilisation alléguée de pays européens par la CIA pour le transport et la détention illégale des prisonniers.

Selon le rapport de M. Claudio FAVA (PSE, IT),  au moins 1245 vols affrétés par la CIA ont survolé l'espace aérien européen ou ont fait escale dans des aéroports européens entre la fin 2001 et la fin 2005. Dans certains cas, ces vols ont servi à effectuer des restitutions extraordinaires ou à transporter des prisonniers de façon illégale. Dans des pays européens, constate le rapport, « des installations de détention secrètes ont pu être situées dans des bases militaires américaines » et « il a pu se produire une absence de contrôle » de ces bases de la part de pays hôtes européens. Dans cette perspective, le Parlement attend du Conseil qu'il fasse pression sur tous les États membres concernés afin qu'ils fournissent des informations complètes et objectives au Conseil et à la Commission, et le cas échéant, qu'il engage des auditions et fasse procéder, dans les plus brefs délais, à une enquête indépendante.

Le Parlement condamne en particulier les restitutions extraordinaires qui constituent un instrument illégal utilisé par les États-Unis dans la lutte contre le terrorisme et condamnent l'acceptation et la dissimulation de cette pratique, en plusieurs occasions, par les services secrets et les autorités gouvernementales de certains pays européens. Les députés demandent par conséquent au Conseil et aux États membres de publier une déclaration demandant clairement et avec force au gouvernement américain de mettre un terme aux pratiques des détentions et des restitutions extraordinaires. Le rapport demande également aux pays européens d'indemniser les victimes innocentes de restitutions extraordinaires.

Le rapport relève que les restitutions analysées par la commission temporaire comportaient dans la majorité des cas une détention au secret et un usage de la torture durant les interrogatoires, comme l'ont confirmé les victimes - ou leurs avocats - qui ont témoigné devant la commission temporaire du PE sur les activités illégales de la CIA en Europe.  A la lumière des témoignages disponibles, notent les députés, il est « très probable que certains pays aient pu recevoir des informations obtenues sous la torture ».

Les députés ont regretté l'absence de coopération de nombreux États membres ainsi que du Conseil de l'UE vis-à-vis de la commission temporaire et expliqué que le manque préoccupant de réponses concrètes aux questions soulevées par les victimes, les ONG, les médias et les parlementaires n'a fait que renforcer la validité d'allégations déjà solidement étayées.  De tels « manquements » de la part du Conseil, note le rapport, engagent l'ensemble des gouvernements de tous les États membres, qui, en tant que membres du Conseil, ont une responsabilité collective. Comme le précisent les députés, le principe de coopération loyale inscrit dans les traités de l'Union européenne  qui fait obligation aux États membres et aux institutions de l'UE de prendre toutes les mesures qui s'imposent pour veiller au respect des obligations européennes telles que le respect des droits de l'homme, n'a pas été respecté.

Les gouvernements nationaux expressément critiqués pour leur manque de volonté à coopérer avec les enquêteurs du PE sont ceux de l'Autriche, de l'Italie, de la Pologne, du Portugal et du Royaume-Uni. Le rapport cite également des éléments de preuves détaillés concernant les enquêtes portant sur des cas de restitution illégales ou de vols de la CIA impliquant la Bosnie, Chypre, le Danemark, l'ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM), l'Allemagne, la Grèce, l'Irlande, la Roumanie, l'Espagne, la Suède et la Turquie.

Parallèlement, les députés ont déploré les « omissions » relevées dans les déclarations faites par Javier Solana, son Secrétaire général, en ce qui concerne les discussions (relatives à la lutte contre le terrorisme) que le Conseil a eues avec des représentants américains. De plus, M. Solana n'a pas été en mesure de corroborer les éléments de preuve déjà en la possession de la commission temporaire. Les mêmes critiques valent pour Gijs de Vries, coordinateur de l'UE de la lutte contre le terrorisme, qui, ont conclu les députés, a été « incapable de fournir des réponses satisfaisantes ». Cela étant, les députés ont estimé que les compétences et prérogatives du coordinateur de la lutte contre le terrorisme devaient être renforcées et placées sous le contrôle du Parlement européen.

Dans la perspective de l'achèvement du mandat de la commission temporaire et reconnaissant que ses conclusions n’étaient pas « exhaustives », le rapport formule un certain nombre de recommandations politiques, juridiques et administratives. Le Parlement juge ainsi que les pays européens qui ont lancé des enquêtes au niveau gouvernemental, parlementaire et/ou judiciaire dans des domaines relevant des attributions de la commission temporaire devraient s'acquitter de leurs tâches dans les plus brefs délais et rendre publics les résultats de leurs investigations. Il considère que tous les pays européens qui ne l'ont pas fait doivent diligenter des enquêtes indépendantes sur toutes les escales d'aéronefs civils utilisés par la CIA, au moins depuis 2001, y compris les cas déjà analysés par la commission temporaire. Les députés chargent également la commission des Libertés civiles du Parlement de donner des suites politiques aux travaux de la commission temporaire, de surveiller les développements et, si nécessaire, de recommander des sanctions à prendre en vertu de l'art. 7 du Traité sur l'UE à l'encontre des États membres reconnus coupables de violation des droits fondamentaux. La Commission est de son côté invitée à entreprendre une évaluation de l'ensemble de la législation antiterroriste en vigueur dans les États membres, ainsi que des accords formels et informels conclus entre les services de renseignement des États membres et de pays tiers, dans une perspective des droits de l'homme.

Le rapport recommande également que tous les pays européens se dotent de lois nationales spécifiques réglementant et contrôlant les activités des services secrets de pays tiers sur leur territoire national. Par ailleurs, il conseille que les autorisations de survol destinées aux appareils militaires et/ou de police ne soient accordées qu'à condition qu'elles soient assorties de garanties en termes de respect et de contrôle des droits de l'homme. Dans le même temps, il demande qu'un système d'inspections ou une interdiction soit appliqué à tous les avions affrétés par la CIA qui ont été - ou pourraient avoir été - liés à des restitutions extraordinaires.

Les députés demandent la fermeture de la prison de Guantanamo et pressent les pays européens de s'employer immédiatement à obtenir le retour de leurs citoyens et résidents détenus illégalement par les autorités américaines. Ils appellent les pays européens, lorsqu'ils conduisent des opérations militaires dans des pays tiers, à: i) veiller à ce que tout centre de détention établi par leurs forces militaires fasse l'objet d'une supervision politique et judiciaire et que la détention au secret ne soit pas autorisée; ii) prendre des mesures effectives pour empêcher toute autre autorité de faire fonctionner des centres de détention qui ne soient pas soumis à un contrôle politique et judiciaire ou qui permettent la détention au secret.

S’agissant des Conventions et accords internationaux, les députés invitent instamment les États membres qui ne l'ont pas encore fait à : i) achever aussi rapidement que possible la ratification de l'accord d'extradition UE-USA de 2003 ; ii) ratifier et mettre en œuvre la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée le 20 décembre 2006 par l'Assemblée générale des Nations unies; iii) veiller à ce que leur définition de la torture soit conforme à l'article 1er de la convention des Nations unies contre la torture ; iv) signer et ratifier le protocole facultatif à la convention des Nations unies contre la torture et instituer des mécanismes nationaux indépendants visant à contrôler les lieux de détention; v) se conformer aux dispositions du statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Sur le plan juridique, les députés considèrent que le Parlement devrait être impliqué lorsque la Communauté ou l'Union adopte des mesures affectant les droits et les libertés civils. Ils préconisent la mise en place d'un système de coopération entre le Parlement et les organes compétents des Nations unies et du Conseil de l'Europe dès lors que sont traitées des questions ayant trait à la sécurité interne de l'Union européenne. Ils soulignent enfin l'importance d'une définition commune du terme « terrorisme » et préconisent la mise en place d'instruments juridiques efficaces visant à lutter contre le terrorisme dans le cadre du droit international.

Le Parlement rappelle dans sa résolution que le terrorisme constitue l'une des menaces principales pesant sur la sécurité de l'Union européenne et qu'il doit être combattu par des efforts légaux et coordonnés de la part de tous les gouvernements européens, en étroite collaboration avec leurs partenaires internationaux et les États-Unis en particulier, conformément à la stratégie définie dans le cadre des Nations unies. Il souligne que la lutte contre le terrorisme doit être fondée sur les valeurs communes que sont la démocratie, l'État de droit, les droits de l'homme et les libertés fondamentales, et menée pour les protéger. Il souligne, en outre, que l'ensemble des travaux menés par la commission temporaire ont eu pour objet de contribuer à l'élaboration de mesures claires et ciblées en matière de lutte contre le terrorisme, acceptées par tous et respectant le droit national et international.