Position stratégique et militaire dans le bassin de la mer Noire à la suite de l'annexion illégale de la Crimée par la Russie

2015/2036(INI)

Le Parlement européen a adopté par 356 voix pour, 183 voix contre et 96 abstentions, une résolution sur la situation militaro-stratégique dans le bassin de la mer Noire à la suite de l'annexion illégale de la Crimée par la Russie.

Le Parlement rappelle que le Conseil européen a fermement condamné l'annexion de la Crimée et de Sébastopol par la Russie. Il rappelle également que le Conseil européen ne reconnaîtra pas cette annexion et que les actions de la Russie ont eu pour effet de déstabiliser la situation dans l'est de l'Ukraine. La Russie contrôle désormais dans l'illégalité des centaines de kilomètres du littoral de Crimée et les eaux adjacentes situées en face des frontières maritimes de l'OTAN et de l'Union européenne. Elle a également suscité des opérations offensives sur le territoire ukrainien, nonobstant les sanctions appliquées par l’Union européenne à son encontre.

Le Parlement ajoute que l'annexion de la Crimée a considérablement affaibli les forces armées ukrainiennes, plus particulièrement sa marine de guerre, dont les troupes russes se sont emparées. La Russie a ainsi mis sur pied une force de frappe offensive constituée des forces maritimes, terrestres et aériennes dans cette région. Elle possède désormais un puissant pas de tir dirigé vers l'ouest (Balkans, Transnistrie et l'embouchure du Danube) et le sud (l'est de la Méditerranée), où elle a stationné une force navale permanente : un poste avancé directement situé aux frontières de l'OTAN.

Évolution de la stratégie et de la sécurité dans le bassin de la mer Noire : dans ce contexte, le Parlement soutient résolument la non-reconnaissance de l'annexion de la Crimée par la Russie non sans rappeler leur attachement à l'indépendance, à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Il souligne que l'annexion illégale de la Crimée a entraîné de profonds changements dans la situation stratégique du bassin de la mer Noire et de la région adjacente. Pour le Parlement, les actes d'agression de la Russie montrent que celle-ci s'inscrit à nouveau dans une démarche hostile de type «bloc contre bloc».

Il indique que la nouvelle donne géostratégique, l'évolution de la situation militaire dans le bassin de la mer Noire et l'annexion musclée de la Crimée par la Russie montrent que l'architecture de la sécurité européenne, fondée sur des normes issues de l'après-guerre froide, est confrontée à des enjeux systémiques et plus vastes. L'Union européenne et ses États membres devraient dès lors y faire face par des mesures de sécurité et reconsidérer leur politique étrangère et de sécurité à la lumière de ces enjeux, qui doivent être pris en compte dans une stratégie européenne de sécurité révisée, dans la stratégie de sûreté maritime de l'UE et dans la stratégie de l'Union pour la mer Noire.

Renforcement du complexe militaire russe : le Parlement s’inquiète tout particulièrement du développement des moyens militaires défensifs et offensifs de la Russie en mer Noire, y compris en Abkhazie, en Ossétie du Sud et en Géorgie. Ces infrastructures militaires représentent une grave menace pour toute la région de la mer Noire. Il s’inquiète en outre de l'intensification de la pression russe exercée sur la frontière orientale de l'Union, notamment sur la Roumanie, la Pologne et les États baltes.

Il se déclare également préoccupé par le renforcement considérable du dispositif de défense aérienne et navale de la Russie dans le bassin de la mer Noire, où ont été déployés de nouveaux missiles de défense navale (missiles antinavires d'une portée de 600 km capables d'atteindre le Bosphore) et où des avions de combat russes contrôlent près des trois-quarts de l'espace aérien (après que le nombre d'aéroports en Crimée a été pour ainsi dire été multiplié par trois). La Russie a développé des capacités stratégiques et tactiques qui lui permettent (grâce à des porte-hélicoptères de type Mistral) de présenter une menace grave de débarquement. Dans ce contexte, le Parlement salue la décision de la France de résilier la livraison des navires d'assaut amphibie de la classe Mistral à la Russie.

Le Parlement rappelle la déclaration du président Poutine, dans laquelle celui-ci se disait prêt à mettre les forces nucléaires russes en alerte dans l'hypothèse où l'Occident serait intervenu pour s'opposer à l'annexion de la Crimée par la Russie. Le risque de déploiement d'armes bivalentes en Crimée jette par ailleurs le doute sur les bonnes intentions affichées par la Russie en matière de désarmement nucléaire multilatéral, dans le cadre du prochain réexamen du traité de non-prolifération, et nuit aux efforts déjà accomplis.

Le Parlement est également préoccupé par la situation dans l'est de l'Ukraine et appelle encore une fois ce pays à cesser les hostilités, empêcher de nouveaux crimes de guerre et éviter d'autres victimes. Il condamne le soutien direct et indirect apporté par la Russie aux opérations séparatistes en Ukraine, notamment la destruction en plein ciel de l'avion de ligne MH-17. Une nouvelle fois, le Parlement demande à la Russie de retirer immédiatement toutes ses forces militaires du territoire ukrainien et de se conformer aux accords de Minsk.

Fermeté et dialogue à l’égard de la Russie : le Parlement souligne que les relations avec la Russie devraient, à long terme et de manière générale, reposer sur la coopération et non sur la confrontation. Il appelle ce pays à un changement d'orientation à l'égard de l'Ukraine, en particulier l'application pleine et inconditionnelle des accords de Minsk de septembre 2014 et de février 2015 et à la rétrocession de la Crimée à l'Ukraine.

Le Parlement espère l’application de l'accord de cessez-le-feu conclu à Minsk par la Russie, faute de quoi le régime de sanctions devrait être maintenu par l’UE. Le Parlement invite notamment les États membres à rester fermes et unis dans l'application des sanctions convenues contre la Russie, notamment en gelant toute coopération militaire et de défense et en annulant des contrats, comme la livraison des navires d'assaut amphibie de la classe Mistral à ce pays.

Sécurité de l'énergie, de l'espace maritime, des frontières et des populations dans la région de la mer Noire : le Parlement appelle l’UE à la mise en place de mesures pour réduire la dépendance énergétique des États membres vis-à-vis du pétrole et du gaz de la mer Noire. Il invite en particulier la Commission à rouvrir le dossier de la construction du gazoduc Nabucco. Il réaffirme qu'au vu de la dépendance de l'Europe vis-à-vis de la mer Noire pour le transit de son approvisionnement en énergie, l'UE a intérêt à dissuader les acteurs régionaux de toute manœuvre téméraire et pourrait, à cette fin, avoir besoin de mobiliser les forces navales et aériennes européennes en mer Noire.

Il craint également que les bénéfices tirés de l'exploitation et du transport de pétrole et de gaz en mer Noire ne soient de plus en plus liés au degré de militarisation provoquée par l'annexion illégale de la Crimée par la Russie.

Parallèlement, le Parlement condamne les violations des droits de l'homme commises en Crimée depuis l'occupation par les forces russes, dont la censure de la liberté d'expression et la persécution des minorités (Tatars de Crimée, en particulier).

Sur le plan écologique, le Parlement attire l'attention sur l'extrême vulnérabilité environnementale du bassin de la mer Noire et souligne que la militarisation croissante de la région entraîne des risques supplémentaires pour cet écosystème fragile.

Il rappelle par ailleurs que, face à la guerre hybride menée par la Russie en Ukraine, l'UE doit rester unie et parler d'une seule voix en vue d’envisager une réponse efficace à toute menace pour la sécurité.

Rôle de l'UE et des acteurs internationaux : le Parlement souligne que la région de la mer Noire devrait être véritablement prioritaire pour l'UE. Il estime ainsi que l'initiative actuelle intitulée «Synergie de la mer Noire» est dépassée et appelle à sa révision. Il souligne que, malgré la quasi-suspension de cette initiative, la coopération efficace avec les États du bassin de la mer Noire devrait se poursuivre.

Pour le Parlement, il est primordial d’instaurer une coordination avec l'OTAN, en particulier les États riverains de la mer Noire qui en sont membres, et avec les États-Unis étant donné que le bassin de la mer Noire est un élément essentiel de la sécurité euroatlantique. Il appelle à la modernisation et l'augmentation des capacités militaires des États riverains de la mer Noire membres de l'UE et de l'OTAN. Il demande à l'OTAN de poursuivre la mise au point de ses capacités de défense cybernétique et antimissile, notamment dans la région de la mer Noire, et d'élaborer des plans d'intervention destinés à écarter et à déjouer les opérations militaires asymétriques et hybrides. Il prie également la Commission de soutenir les États membres dans leurs recherches de solutions pour augmenter leur budget de défense et le porter à 2%. Au passage, il salue l'engagement pris les membres de l'OTAN de veiller à ce que les dépenses consacrées à la défense atteignent un minimum de 2% du PIB d'ici 2024.

Il rappelle que, bien que les candidatures de la Géorgie et de l'Ukraine au plan d'action pour l'adhésion à l'OTAN aient été rejetées en 2008, l'OTAN a annoncé que la Géorgie et l'Ukraine deviendront membres de l'alliance. Toutefois, à la suite de la guerre de 2008 en Géorgie et de l'annexion illégale de la Crimée en 2014, la Russie a amputé le territoire des deux pays, rendant impossible leur adhésion à l'OTAN. Pour le Parlement toutefois, l'OTAN (qui n'est pas en mesure de défendre ces pays directement) a le devoir moral de soutenir les capacités de défense de la Géorgie et l'Ukraine.

De manière générale enfin, le Parlement rappelle que l'OTAN devrait maintenir sa supériorité navale et aérienne d'ensemble dans le bassin de la mer Noire.